La recertification devra être « facile à réaliser » mais pas « un arrangement entre médecins », clame le Pr Uzan

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Publié le 13/11/2018
Serge Uzan

Serge Uzan
Crédit photo : Capture d'écran

Une semaine après avoir remis un rapport aux ministres de la Santé et de l'Enseignement supérieur sur la recertification des médecins, le Pr Serge Uzan précise à quoi pourrait ressembler cette obligation pour les futurs praticiens diplômés à partir de 2021. Dans l'entretien qu'il a accordé au Généraliste, il assure que le dispositif élaboré avec la profession ne sera pas trop contraignant mais prévient : pour assurer son succès, il faudra un financement adéquat de la recertification.

Le Généraliste - Demander à chaque médecin 15 à 30 jours par an pour satisfaire son obligation de recertification, n'est-ce pas trop ?

Pr Serge Uzan : La recertification devra être facile à réaliser pour les médecins. Personne ne va leur demander de fermer leur cabinet pendant 30 jours, ni même 15 jours ! Nous avons voulu une recertification élaborée par les médecins pour les médecins. Cette durée sera variable selon les spécialités. Elle dépendra de ce que souhaiteront y mettre les Conseils Nationaux Professionnels (CNP) et le Collège de la Médecine Générale. Ce sont les CNP qui décideront ce qu'ils jugent opportuns pour leur discipline. Il est important de comprendre que sous le terme de « jours », on entend « équivalent jours », soit sous forme présentielle, soit traduisant des modalités d’exercice, telles que gestion des risques, amélioration du parcours patient, etc.. La répartition entre ces deux « fractions » sera fixée par les CNP.

Que pourra recouvrir la recertification ?

Nous pouvons déjà dire que seront considérés comme formateurs non seulement les DPC indemnisés, mais aussi toutes les formations continues, la participation à des staffs ou à des réunions de concertation pluridisciplinaires, la présence à des congrès, etc.., bref à de très nombreuses et diverses activités à condition qu’elles soient « labellisées » par les CNP. Toutes ces actions, cumulées entre elles, permettront aux praticiens de parvenir assez facilement à ce minimum de 15 jours. Je veux rendre aux médecins la visibilité de leur démarche vertueuse. C'est notre honneur de montrer aux patients que cette recertification n'est pas un arrangement entre médecins. Il y aura forcément des praticiens non certifiés et ils ne pourront pas dans ce cas être autorisés à exercer. Mais ils seront très peu nombreux car tout sera fait pour les aider à ne pas en arriver là !

Pourquoi rendre obligatoire la recertification aux futurs médecins et pas aux titulaires d'un ancien diplôme ?

J'avais pris cet engagement. Le principe du progrès est d'avancer, pas de mettre en difficulté ceux qui étaient déjà là. Les praticiens en exercice n’ont pas été formés autant que ceux à venir et on ne les a pas suffisamment aidés en matière de formation continue. Pour avoir été longtemps doyen, je suis bien placé pour le savoir. Par ailleurs, les médecins ressentent mal une certaine perte de légitimité qui peut expliquer le mal-être de la profession et certains suicides. On assiste à une rupture entre la vocation humaniste de la profession de médecin, en laquelle je crois encore, avec la dimension « parfois trop administrative » du métier que l'on veut leur imposer.

Les professionnels de chaque CNP vont-ils selon vous jouer le jeu ?

Je n’en doute pas et je peux vous dire que les généralistes seront les plus exigeants ! Les généralistes sont devenus des spécialistes d'une discipline probablement parmi les plus complexes. Et c'est la raison pour laquelle nous proposons dans notre rapport que soit instaurée pour les généralistes l'accréditation qui existe déjà pour les spécialités à risques.

Un syndicat de jeunes (Reagjir) avait demandé que dans le cadre de la recertification soit mise en place une visite obligatoire chez un médecin du travail pour évaluer s'il était apte ou non à exercer. Pourquoi ne pas avoir retenu cette idée ?

Chacun a droit au respect de sa vie privée. Reagjir demandait que régulièrement le médecin fournisse un certificat d'aptitude. Cela a entraîné « une levée de boucliers » d’une grande partie du groupe de travail. Je n'ai pas voulu que l'on puisse penser que la recertification se résumait à une visite médicale d'aptitude. J'ai d’ailleurs accepté d'aller au congrès de Reagjir à Avignon les 6 et 7 décembre et je m'en expliquerai.

Concernant la gouvernance, vous souhaitez la création d'un Conseil National de Certification et de Valorisation. Quelles seront ses prérogatives, quid de l'Ordre?

La garantie de la qualification et le droit d'exercice reviennent à l'Ordre des médecins. Le CNCV, avec l'aide des CNP, définira les prérequis de la recertification pour chaque spécialité. Mais l'Ordre continuera de donner l'autorisation d'exercice.

Il est prévu que lorsqu’un médecin ne parviendra pas à remplir son obligation de certification, le CNCV transmettra l’information à l’Ordre qui gérera la question. Pour 90 % (et probablement plus) des médecins, remplir le portfolio demandera une demi-heure à une heure par an. Pour tester et anticiper les difficultés, on va expérimenter en 2019-2020 la recertification de façon à la rendre la plus simple possible.

Comment s’articulera la recertification avec le DPC ?

Le médecin devra pouvoir choisir la ou les formation(s) qui lui conviendra(ont) le mieux. Nous avons proposé un processus de certification et de valorisation (ce second terme est très important) car avec les nouvelles règles du 3e cycle, les médecins pourront changer de discipline et faire un 2e DES. Certes, le DPC indemnisé participera à la recertification, mais il n’y a pas que cela. Les CNP auront grande liberté pour dire tout ce qui peut être considéré comme recertification et ce qui relève de la valorisation.

Il n’est pas prévu aujourd’hui de financement de la recertification. N'est-ce pas problématique ?

J’ai bien rappelé aux deux Ministres qu’une recertification de qualité avait un coût. Ce coût, qu'il nous était impossible d'estimer, est cependant légitime car la recertification est une action de santé publique et d’amélioration de la qualité des soins en France. Les deux ans qui nous séparent du début de la procédure vont permettre de chiffrer les besoins. Si on ne leur en donne pas les moyens, je comprendrais que les médecins hésitent à s’engager. Il faut un financement de la recertification, comme pour le DPC indemnisé. Et il faut que l’enveloppe d'indemnisation du DPC augmente aussi.

Propos recueillis par Christophe Gattuso

Source : lequotidiendumedecin.fr