EN S’APPUYANT sur une enquête de terrain (qui s’est déroulée d’avril 2002 à octobre 2004), l’anthropologue Aline Sarradon-Eck (université d’Aix-en-Provence) livre une description ethnographique de dix cabinets de médecins généralistes installés en zone rurale ou semi-rurale.
Contrairement à leurs aînés, les généralistes n’aménagent plus leur cabinet dans une ou plusieurs pièces de leur domicile. Dans la plupart des cabinets – qui comportent tous, au minimum, une salle d’attente, un bureau médical et des toilettes –, les médecins ont aménagé la circulation des personnes pour leur éviter de croiser les regards des autres patients en sortant.
La salle d’attente représente « l’antichambre de l’univers du médecin » mais son aménagement, aussi riche soit-il, ne reflète pas les revenus du praticien. Le contraste qu’il peut y avoir entre les unes et les autres « pourrait signifier que les médecins aménagent, consciemment ou non, les salles d’attente selon des présupposés d’exigences de la catégorie sociale dominante dans leur clientèle ». Il s’agit moins pour le médecin de se mettre en avant que d’exprimer « une forme de considération » envers son patient. Les plus agréables des salles d’attente sont celles des généralistes ayant confié leur embarras lorsque l’attente avant leur consultation est prolongée. Trois catégories de salles d’attente émergent : la chaleureuse avec ses plantes vertes, la standardisée avec ses brochures d’informations médicales et la froide « rudimentaire ». Quelle que soit sa catégorie, la salle est envisagée comme un espace de cohabitation anonyme et impersonnel.
C’est la pièce de consultation qui établit et détermine le rôle du médecin. Tous les cabinets visités possèdent un meuble où sont entreposés des livres et documents médicaux. Dès qu’ils le peuvent, les médecins préfèrent séparer la salle d’examen du bureau. Seuls deux cabinets sur dix ne présentent pas de démarcation entre ces deux territoires. La configuration de la séparation permet au médecin de rationaliser l’organisation de leur espace de travail : respect de l’intimité des personnes examinées, asepsie de certains gestes, disposition pragmatique des instruments médicaux. Cette configuration permet également de « souligner la fonction d’écoute de la pratique généraliste à côté de celle de technicien et d’expert, et l’importance de la parole dans la relation médecin-malade ».
Humaniste ou technique.
Par certains détails tels que des photographies, des gravures, des objets, le médecin fait savoir qu’il remplit d’autres rôles, avec sa personnalité, ses goûts, ses loisirs. L’espace du bureau relève également de la « mise en scène de leur conception du métier », humaniste ou plus technique. Dans la moitié des cabinets médicaux, un espace est réservé aux jeunes enfants dans le bureau du praticien : ce sont les généralistes ayant le plus fort pourcentage d’enfants dans leur clientèle. « Il s’agit de penser au confort des petits patients mais aussi d’entrer en relation avec un type de clientèle. De même, pour les médecins ayant une spécialisation informelle en gynécologie, ce seront des brochures d’information, des exemplaires de dispositif intra-utérins posés sur le bureau qui sont les marqueurs du territoire professionnel (au sens des compétences) du généraliste ».
L’enquêtrice a également partagé le quotidien des médecins. Concernant le paiement des honoraires, elle a dégagé deux attitudes : ceux qui semblent embarrassés par le paiement à l’acte et ceux qui semblent totalement l’assumer. « La première attitude correspond à une catégorie de médecins "ambivalents", partagés entre d’une part, une logique professionnelle libérale (...), et, d’autre part, une "éthique de la modération". ». À l’instar de la moyenne nationale de l’époque, huit praticiens sur dix possèdent un ordinateur, même si le degré d’utilisation diverge selon les médecins et leur attrait pour les nouvelles technologies.
En conclusion, indique l’anthropologue, les généralistes se construisent « un décor d’expert, rôle dans lequel ils sont détenteurs d’une part, d’un savoir scientifique et, d’autre part, d’un savoir sur le patient ». Le second rôle que les médecins de l’enquête veulent endosser, c’est celui « du médecin de famille qui a conduit la plupart d’entre eux à choisir la médecine générale et la pratique libérale en zone rurale ou semi-rurale ».
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