La semaine dernière, la direction générale de l'offre de soins (DGOS) a présenté aux syndicats d'infirmiers et de praticiens libéraux un décret et deux arrêtés sur l'infirmier en pratique avancée (IPA), textes issus d'une concertation ouverte en décembre 2016 entre le ministère de la Santé et les Ordres des deux professions.
Le résultat des courses a été sans appel : Ségur se heurte à une levée de boucliers qui a surpris par son ampleur. Manque de concertation, mise en cause du médecin traitant, risque de concurrence..: aucun syndicat médical n'accepte en l'état un dispositif que beaucoup appellent pourtant de leurs vœux, au regard de l'urgence démographique. Et du côté infirmier, on déplore un rendez-vous manqué.
Aide aux médecins saturés
La pratique avancée caractérise le transfert d'actes cliniques et techniques normalement dévolus au médecin à un autre professionnel de santé, chargé également d'actes complémentaires à son champ traditionnel d'exercice (éducation thérapeutique, prévention, etc.).
La loi Touraine (2016) avait pour ambition de définir un nouvel exercice en pratique avancée pour les auxiliaires médicaux, au sein d'une équipe de soins coordonnée par un médecin, en ville et à l'hôpital. Ces nouveaux textes réglementaires sur l'infirmier (voir ci-contre) en sont la première concrétisation. Pour la rentrée 2018, le ministère entend déployer dans une dizaine d'universités un Bac+5 (niveau master) ouvert aux infirmiers avec trois ans d'expérience afin de former progressivement 5 000 à 6 000 IPA. L'enjeu : diminuer le délai de prise en charge et dégager du temps pour les médecins en exercice, saturés de patients.
Pour cela, le gouvernement entend s'inspirer d'initiatives lancées à l'hôpital, berceau naturel de l'exercice pluridisciplinaire et en équipe (notre reportage ci-dessous). On y trouve déjà des infirmiers cliniciens (métier intermédiaire prévu dans le troisième plan Cancer) et près de 200 faisant fonction d'IPA. Des grosses machines comme l'AP-HP misent sur les protocoles de coopération, cadre réglementaire de la loi Bachelot qui étend les compétences infirmières à des actes délégués et cliniques : bilans urodynamiques, consultation infirmière et suivi des patients (médecine de voyage, oncologie, chirurgie de l'obésité). Le CHU compte 45 super-infirmiers et manipulateurs radio aujourd'hui. Il en veut 1 000 pour fin 2019 !
Souci de méthode
Plusieurs raisons expliquent le rejet des libéraux. Il y a tout d'abord la méthode. Mis devant le fait accompli, les syndicats sont exaspérés de ne pas avoir été conviés aux discussions initiales (c'est l'Ordre qui était aux manettes), la CSMF dénonçant une « concertation de façade ». Ils n'apprécient guère d'avoir eu quelques jours pour proposer des amendements au projet de décret, que Ségur espère transmettre au Conseil d'État avant l'été.
Sur le fond surtout, la création du statut d'IPA oblige à repenser brusquement la notion de périmètre d'exercice, ce qui ravive les querelles de territoire.
Côté médecins, le SML, la FMF et l'UFML-Syndicat s'opposent frontalement à cet « éparpillement façon puzzle », voire à ce « dépeçage » de la médecine libérale. D'autres syndicats réclament des garanties strictes avant l'ouverture aux IPA de certains actes et du droit à la prescription. lls conditionnent leur accord à la mention de protocoles médicaux standardisés obligatoires – sur le modèle du programme de coopération infirmier/médecin ASALEE – afin de sécuriser la prise en charge et leur pré carré.
« Sans ce balisage, le risque de rébellion des généralistes est grand », prévient le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. « Va-t-on entrer en compétition avec ce nouveau corps, au lieu de créer une complémentarité ? », résume-t-il, inquiet. « Le protocole, c'est l'assurance d'une prise en charge pertinente et de qualité », renchérit le Dr Luc Duquesnel, « en attente » d'IPA sur son territoire, en Mayenne. Le patron des Généralistes-CSMF estime que sans protocole strict, les infirmiers doivent s'attendre à ce que « le dispositif se retourne contre eux, pour des questions de responsabilité légale ».
Le nouveau cadre règlementaire devra aussi convaincre les infirmiers, qui jugent le projet trop limitatif et peu valorisant. Le SNIIL dénonce un « énorme marché de dupes sans aucune plus-value », qui n'évoque pas les consultations infirmières et n'autonomise pas davantage la profession (le médecin reste primo-prescrivant). La Coordination nationale infirmière ne cautionne pas cette « frilosité » et réclame du courage politique. Quant à la FNI (lire page 3), elle refuse tout net le principe même de pratique avancée !