Choses vues et lues
« Sans en être tout-à-fait une, la peur d’aller consulter un sexologue doit bien être considérée comme une phobie sexuelle, par ses symptômes comme par sa caractéristique d’évitement », constate le Dr Nadine Grafeille, psychiatre, directrice de l’enseignement de sexologie à l’université de Bordeaux.
Les forums sur Internet et les courriers du cœur dans la presse féminine s’en font régulièrement l’écho. « Je suis totalement paniquée à l’idée de devoir me faire examiner par un sexologue, je refuse catégoriquement qu’on me regarde ou qu’on me touche le sexe », avoue cette internaute de 21 ans, victime, précise-t-elle d’une agression sexuelle il y a quelques années et qui n’ose pas parler de sa phobie de consulter.
Sarah, 27 ans, qui ne supporte pas que son mari la touche, confie à un hebdomadaire féminin qu’elle s’est finalement résolu à aller consulter. « Mais, poursuit-elle, mon mari m’a répondu : « C’est ça, t’as raison, t’es malade, va te faire soigner. » Et il a explosé quand je lui ai dit qu’il fallait qu’il m’accompagne : « Tu veux vraiment que j’aille raconter à un vieux pervers que ma copine s’effondre en larmes chaque fois que je la touche ? Et puis quoi ? On lui détaillera nos positions pour qu’il nous corrige ? Tu rêves ! Va chez les sexologues si ça peut soulager ta conscience, mais ce sera sans moi ! »
Toutes les enquêtes*, en France et à l’étranger, enregistrent l’impact du phénomène sur le délai mis par les patients pour se décider à aller consulter : de 6 mois à 20 ans pour l’éjaculateur précoce, d’un mois à dix ans, avec une moyenne de trois ans, pour la dysfonction érectile, de cinq à vingt ans pour les troubles de l’identité sexuelle et, record, pour les mariages non consommés, d’un an à… 30 ans ! Au final, seulement 5 à 30 % des hommes consultent et 30 % se traitent.
Paroles de cliniciens
« Cette phobie du sexologue représente une perte de chance et une souffrance pour tous ces couples que nous ne voyons pas et qui devraient constituer la majorité de nos patients, souligne le Dr Grafeille. Du reste, c’est souvent le sujet de nos premières questions avec ceux qui viennent finalement nous consulter. Les arguments invoqués pour expliquer cette peur, sont le manque de temps, le sentiment fataliste de ne pas être doué pour le sexe, l’acceptation d’une frustration qui n’est pas considérée comme si grave et essentielle, ainsi que l’absence de plainte du partenaire, qui n’ose pas aborder le sujet peut-être aussi par ce que ça l’arrange, soit par absence de désir, soit en raison de ses propres difficultés. En fait, nos patients ont honte de parler de ça, ils présentent une mauvaise estime de soi, ils sont anxieux et craignent le jugement et le pouvoir du thérapeute qui pourrait s’immiscer dans leur vie de couple. Il y a aussi les auto traitements sur Internet, avec une interprétation sélective des articles. Beaucoup d’internautes vont s’imaginer qu’ils peuvent se dispenser d’aller se dévoiler chez le spécialiste. »
« Chez beaucoup de consultants, observe le Dr Sylvain Mimoun, directeur du centre d’andrologie de l’hôpital Cochin, subsiste la conviction qu’ils sont normaux et que ce sont les autres qui devraient se faire soigner. La prise de conscience qu’on a soi-même un problème est inhibante. Et le blocage se trouve encore aggravé par la difficulté de trouver les mots pour formuler ce que l’on ressent et que l’on ne comprend pas, pour se situer aussi par rapport à un récit sexuel véhiculé sommairement par les médias. »
Le processus phobique ne s’interrompt pas en franchissant la porte du cabinet : « Il faut faire très attention lors de la première consultation à ne pas jamais demander au patient de se mettre complètement nu, prévient le Dr Grafeille, il faut l’inviter à se déshabiller pour certaines parties du corps, en lui expliquant pourquoi un toucher rectal va être nécessaire, pourquoi on va mesurer son diamètre abdominal, etc. Le thérapeute doit rassurer en permanence le patient qui parfois s’imagine qu’on va lui demander une érection pour le mesurer. »
Le rôle du généraliste est décisif. « Il est le premier consulté, rappelle le Dr Mimoun. Le patient lui tend la perche, pour tester sa réaction. Sans parler de panne sexuelle, il questionne par exemple au sujet de sa prostate sur le plan anatomique. Il tourne autour du pot, attendant une orientation de la part du médecin qui lui-même l’attend pour avoir plus de détail. Chacun attendant l’autre dans le colloque singulier, cela risque souvent d’échouer sur un évasif "Ça va passer, ne vous inquiétez pas." Or, quand vous interrogez des généralistes qui interviennent auprès de la même population, les uns vous disent qu’ils n’entendent jamais de plainte sur le terrain sexuel, les autres, au contraire, qu’on leur parle tout le temps. C’est bien la preuve que la prise en charge sexologique qui suivra ou non est très "médecin-dépendante" .
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Illustrations tirées de « Sex Story », la première histoire de la sexualité en bande dessinée, aussi sérieuse que facétieuse, racontée par le Dr Philippe Brenot, responsable des enseignements de sexologie à Paris-Descartes, et illustrée par Laetitia Coryn (208 p., 24,90 €).
*Enquête Mori de l’International Society for impotence research dans dix pays (1998), Étude Infratest sur la Base access panel exclusif info (2002), Enquête Sandoïca et coll. (1997), enquête SOFRES (1994)…
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