Lundi 2 mai 2016. Le Dr Thomas Pipard entame sa première journée en tant que médecin libéral. À peine son internat terminé, le jeune homme de 30 ans s’est installé dans un cabinet de groupe, aux côtés de deux confrères, dans un petit village de la région lyonnaise. Au mois de novembre, il exercera également en tant que chef de clinique au CHU de Lyon, parallèlement à son activité en cabinet, 3,5 jours par semaine.
Le généraliste confie au « Quotidien » son enthousiasme pour l’exercice libéral, dont on dit qu’il rebute les jeunes. Charge de travail, paperasserie, pression financière, le Dr Pipard n’ignore rien des difficultés qui l’attendent. Mais sa passion pour le métier a pris le dessus sur tout le reste.
LE QUOTIDIEN : Comment s’est passée cette première journée ?
Dr THOMAS PIPARD : Très bien ! D’autant plus que je n’étais pas en terrain inconnu. J’avais déjà eu un contact avec la patientèle du cabinet au cours d’un précédent stage. Mais comme toutes les premières fois, j’avais une petite appréhension au moment de signer les premières ordonnances à mon nom, de remplir des déclarations de médecin traitant... On se dit qu’on est seul face à nos décisions, mais ce n’est pas vraiment le cas. On a des confrères, un réseau de spécialistes avec qui on peut échanger.
Aviez-vous des craintes au moment de vous installer ?
J’avais des appréhensions sur les charges administratives. J’en ai eu un avant-goût en préparant l’installation. Entre l’URSSAF, la CPAM et l’Ordre des médecins, le parcours est assez compliqué, malgré les PAPS (portail d’accompagnement aux professionnels de santé) censés nous aider. Pour un jeune médecin qui sort de l’internat, ça peut être très anxiogène. Il faudrait un interlocuteur unique, une personne à qui s’adresser pour être guidé, obtenir de l’aide.
Pourtant, depuis le pacte territoire santé de Marisol Touraine, il existe un référent unique dans chaque région pour accompagner les jeunes médecins…
Je connaissais ce dispositif, mais il s'agit plutôt de démarches sur le papier, rien de réellement concret sur le terrain. D’ailleurs, je constate que le nom du référent a changé depuis l’année dernière… Mais c’est bien dans cette direction qu’il faut aller. Ça ne suffit pas de réunir les démarches sur un site Web. Il faut un interlocuteur physique, disponible et avec lequel on peut échanger facilement.
Comment expliquer les réticences des jeunes à s’installer ?
Je crois que les jeunes ont envie de s’installer, contrairement à ce qu’on entend. Mais ils veulent d’autres conditions d’exercice. On a envie de travailler en groupe, on a envie de préserver une certaine qualité de vie. Le sacerdoce, c’est fini. Ça implique d’avoir un cabinet bien informatisé, un secrétariat médical efficace, de travailler sur rendez-vous…
On peut entendre de la part de certains anciens médecins que les jeunes n’ont pas envie de travailler, que ce sont des fainéants. Ils n’ont pas compris. Ce qu’on souhaite, c’est un cadre qui nous permette de garantir des soins de qualité. Et cela commence par le fait de prendre soin de soi-même. C’est important pour nous comme pour les patients. Un médecin en burn out est un médecin qui soigne moins bien.
La paperasserie qui accapare toujours plus les médecins, les relations pas toujours faciles avec la caisse, la charge de travail… Tout cela ne vous effraie pas ?
Il faut bien se lancer ! Personnellement, j’avais une réelle envie de m’installer. Ma motivation, c’est d’être un médecin de famille, de suivre des patients sur le long terme. Je n’ignore pas les difficultés, mais ma volonté d’exercer prend le dessus sur le reste.
Et la pression des patients ? Comment ne pas se laisser déborder ?
J’ai fixé un cadre très précis. Consultations sur rendez-vous uniquement, des créneaux pour les patients qui se manifestent le jour-même et pour les urgences. Ça m’évite d’avoir à les prendre entre deux consultations, avec le risque de désorganisation que cela implique. En revanche, je n’utilise pas de plates-formes de réservation en ligne. D’abord, parce que je privilégie le contact humain. Un bon secrétariat médical est capable de trier en amont les urgences, de m’orienter sur la durée de la consultation, de bloquer deux créneaux horaires si c’est nécessaire. C’est un vrai plus pour l’organisation du cabinet, même si cela constitue une charge financière.
Les médecins se plaignent justement d’une augmentation des charges. Le C est bloqué à 23 euros depuis 2011. Est-ce une inquiétude pour vous ?
Je n’ai pas fait médecine pour devenir riche ! Cela dit, j’ai fait 9 à 10 ans d’études, j’exerce un métier à responsabilités et le temps de travail des médecins est en moyenne de 60 heures par semaine. Il est normal que la rémunération soit en rapport avec cela. Ce n’est pas le cas avec un C à 23 euros. D’abord, il n’est pas normal que la médecine générale, qui est une spécialité à part entière, ne soit pas rémunérée comme les autres spécialités, à 25 euros. Ensuite, je pense que la tarification à l’acte unique ne reflète pas tout le travail que l’on fait, ni la variété des consultations.
La généralisation du tiers payant est une autre source d’inquiétude pour vos confrères ? Partagez-vous leurs craintes ?
Cela existe déjà pour les patients en ALD ou CMU, et nous le pratiquons aussi pour ceux qui ont de faibles revenus ou alors nous attendons le remboursement CPAM pour encaisser le chèque. À mon sens, le tiers payant généralisé correspond surtout à un message politique. Mais il n’est pas applicable en l'état. S'il devenait obligatoire, ce serait une grande source de stress et de surcharge administrative pour les médecins. Je souhaite faire du soin et non pas passer mes journées au téléphone avec plus de 400 organismes complémentaires pour être payé 6,90 euros.
Comment imaginez-vous votre avenir ?
La filière universitaire pourrait me tenter à l’avenir. Mais j’ai envie de continuer dans cette diversité professionnelle. Je me suis lancé dans une aventure et je souhaite qu’elle dure le plus longtemps possible !
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