Une « téléconsultation ORL » sans passer par le médecin traitant, réalisée directement depuis le magasin d'audioprothèses ? C'est ce service que propose « en exclusivité » depuis octobre le réseau de complémentaires Santéclair, initiative qui fait bondir les médecins ORL et les audioprothésistes.
Éviter les déplacements chez le généraliste
La plateforme Santéclair fait la promotion de ce nouveau service auprès des audioprothésistes membres de son réseau, via une fiche de présentation qui en décline le principe : proposer rapidement une téléconsultation « avec un médecin ORL », directement dans le centre auditif partenaire. En pratique, l'audioprothésiste est équipé par un partenaire de Santéclair avec un logiciel de télé-audiologie, un spécialiste ORL effectue ensuite les examens auditifs lors d'une consultation à distance puis adresse au patient un compte-rendu de consultation et une ordonnance d'appareillage si nécessaire.
« Démarquez-vous avec un dispositif novateur et professionnel » ; « améliorez la satisfaction de vos patients en évitant les déplacements, chez un médecin généraliste puis un médecin ORL », ou encore « faites de votre centre, le lieu unique du parcours d'appareillage », promeut Santéclair auprès de ses enseignes partenaires. Selon le réseau, 13 centres pilotes ont testé le concept. 132 téléconsultations ont été réalisées et 93 patients appareillés, avec « une très bonne acceptabilité » et un taux de satisfaction « supérieur à 90 % ».
Mélange des genres
Sauf que les professionnels de santé de la filière auditive ne l'entendent pas de cette oreille. Le Syndicat des audioprothésistes (SDA) y voit un « contournement » clair du parcours de soins coordonnés dans le cadre de la téléconsultation. Il dénonce surtout une « violation » du Code la santé publique qui prohibe les consultations médicales dans des lieux de vente d’appareils prescrits au cours de ces consultations et le compérage entre médecins et auxiliaires médicaux. « Cette intégration complète du service (assurance santé, consultation médicale, appareillage auditif) induit un intolérable mélange des genres dans l’économie et les finalités de la santé (...) L’indépendance professionnelle des praticiens et, en miroir, le libre choix des patients, est remise en cause », tance le SDA.
Modèle à l'américaine ?
Ce service est tout autant décrié par le Syndicat national des médecins ORL (SNORL), contacté ce mardi par « Le Quotidien ». « Nous sommes extrêmement contre, on ne comprend pas bien ce que veut faire Santéclair, mais il est clair qu'il n'y a pas de respect du parcours de soins ni de possibilité de choisir son professionnel de santé, réagit le Dr Nils Morel, président du syndicat. Cela engendre des rapports commerciaux et non médicaux, un modèle à l'américaine où le médecin traitant n'existe plus. C'est complètement incroyable. »
Le président du SNORL confie que cette initiative est « suivie de près » au niveau du syndicat et de la Société française ORL. Les audioprothésistes appellent à une évaluation juridique approfondie sur les pratiques des réseaux de soins.
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