Données de santé : la course d’obstacles

Un gisement précieux mais inaccessible

Publié le 06/09/2010
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Crédit photo : S TOUBON

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C’EST UN PARADOXE bien français. L’existence d’un gisement de données de santé très riche, amassé à partir des remboursements dans les serveurs centralisés de l’assurance-maladie. Et… son indisponibilité : tout se passe comme si personne ne voulait en livrer les clés d’accès à ceux qui en ont besoin, même au nom de la santé publique. Avec l’autorité du président honoraire du Comité consultatif national d’éthique, le Pr Didier Sicard analyse : « D’un côté, ce n’est pas le rôle de l’assurance-maladie de faire de l’évaluation.Elle choisit les sujets sur lesquelles elle veut communiquer ; de l’autre, on dirait qu’on craint de se heurter à la bronca des Français, très attachés à un système de remboursement que les étrangers nous envient et habitués au trou structurel de la Sécurité sociale. » Ajoutons l’empilement de textes sur la protection des données de santé, sous la houlette de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), la tâche des promoteurs d’études n’est pas aisée.

Résultat, dénonce le Pr Sicard, il n’y a pas de stratégie prospective. On bâtit des plans de santé publique qui ne s’articulent pas sur des données objectives. Il n’y a pas de rapport entre les dépenses et les finalités de santé publique. C’est justement pour ces raisons qu’est né l’IDS, à la faveur de la loi du 13 août 2004 et en fonctionnement depuis deux ans. Un des enjeux est d’ouvrir aux assurances complémentaires les données du SNIIRAM, le système d’information de l’assurance-maladie créé en 1999, et, réciproquement, d’inciter les mutuelles à partager leurs données avec l’assurance-maladie. Mais aussi de faciliter l’accès des chercheurs aux données du PMSI, le programme de médicalisation du système d’information hospitalier, qui décrit les dépenses hospitalières de chaque patient.

Doctrine à construire.

Pour instaurer la confiance entre les gestionnaires de bases de données et les organismes produisant des recherches ou des études, l’IDS s’est doté d’un comité d’experts de douze membres, épidémiologiste, statisticien, économiste de la santé, spécialistes des sciences sociales et de la santé publique… Chargé de construire la doctrine de l’IDS, ce comité de sages a rédigé un livre blanc qui s’appuie sur ses premiers travaux : examens des demandes d’utilisation de données de santé, auditions de personnalités, analyses d’une enquête de terrain auprès d’acteurs publics/privés souhaitant disposer de données de santé pour des études ou des recherches. Le comité s’est aperçu qu’il restait un travail gigantesque à faire pour rapprocher les bases de données : le PMSI et le SNIIRAM sont incompatibles, les données de la CNSA (caisse nationale de solidarité pour l’autonomie) ne sont pas disponibles. Certaines bases de données sont peu connues.

Lorsqu’un laboratoire, pour qui les études post-AMM sont une obligation, demande à avoir accès aux données publiques, on lui répond de passer son chemin. Soit il doit constituer par lui-même des cohortes forcément moins complètes, soit il doit passer par un laboratoire de l’INSERM. À ce sujet, en annexe de son livre blanc, le comité d’experts de l’IDS joint une réponse négative de la CNIL sollicitée pour autoriser une étude médico-économique sur le coût de la non-observance du traitement par statine commandée par un laboratoire pharmaceutique à une équipe lyonnaise. Craint-on qu’en montrant l’efficacité d’un traitement, tel laboratoire réclame un montant de remboursement plus élevé ? Une diabolisation excessive du monde pharmaceutique finit par conduire à préférer l’ignorance à la santé publique, souligne le Pr Sicard, en montrant la lettre refusant une étude jugée légitime par le comité d’experts mais émanant d’un industriel. « Il y a un problème d’ouverture au lucratif. »

Revaloriser l’épidémiologie.

Autre particularité française, la discipline de l’épidémiologie n’est pas jugée très noble, performante et porteuse d’influence. Si les données de santé servaient davantage à faire de la prospective et pas seulement de la gestion économique à court terme (l’objectif du SNIIRAM est au départ de mesurer l’activité des professionnels de santé), si la volonté d’analyser et de partager l’information en santé était prioritaire, les médecins libéraux et hospitaliers se sentiraient moins victimes du « comptable ». Au lieu de cela, déplore le Pr Sicard, on décide des économies en catastrophe sans connaître les secteurs ni les pathologies pour lesquels ces économies auraient du sens.

(1) Le comité d’experts conseille l’IDS sur les questions éthiques et déontologiques.

 MARIE-FRANÇOISE DE PANGE

Source : Le Quotidien du Médecin: 8808