EN FRANCE, le mythe du médecin qui peut tout endurer au travail sans jamais se préoccuper des répercussions sur sa santé est en train de tomber. « Bonne nouvelle, on ne soigne bien les autres que si l’on peut aussi prendre soin de soi-même ! » remarque le Dr Max-André Doppia. Et, bien que passionnant, le métier d’anesthésiste-réanimateur comporte aussi des facteurs de stress chronique incriminés dans la survenue de troubles divers. « Heureusement, on n’est pas plus atteint en anesthésie que dans les autres spécialités médicales, poursuit le Dr Doppia, mais, si les anesthésistes ne sont pas plus touchés que les autres médecins par le syndrome d’épuisement professionnel (burnout), sa fréquence atteint un niveau préoccupant. Quatre praticiens sur dix seraient touchés et les jeunes ne sont pas épargnés. La littérature sur le sujet est abondante. C’est le déni qui fait qu’on ne s’en rend pas toujours compte, ou trop tard… ». Avec deux fois plus de suicides dans le corps médical que dans la population générale, les anesthésistes sont aussi concernés.
La santé au travail est donc un débat qui devrait intéresser tous les anesthésistes-réanimateurs, quel que soit leur mode d’exercice, public ou libéral. Un débat qui progresse à grands pas, sous l’impulsion de la Commission SMART, crée il y a trois ans par le CFAR, après le suicide de trois anesthésistes en trois semaines en Alsace.
Une enquête qui réveille !
Conduite auprès des anesthésistes de février à avril 2009, à l’initiative de la commission du même nom, l’enquête SMART a permis de bousculer quelques idées reçues. Notamment que le fait d’aborder ouvertement la question des risques psychosociaux au travail et leurs conséquences (burnout, atteintes cardio-vasculaires, anxio-dépression, addictions, troubles musculo-squelettiques, etc.) pourrait ternir l’image de la spécialité. « Certains le craignaient, mais l’enquête nous montre au contraire que 74 % des nos confrères estiment que l’erreur serait justement de ne pas en parler. De la même façon, 62 % considèrent que les anesthésistes-réanimateurs du public ne consultent pas assez les services de santé au travail et 80 % de la profession estime que les confrères du libéral devraient également pouvoir y accéder, ce qui ne leur est pas possible aujourd’hui », indique le Dr Doppia qui préside la commission. Des résultats qui ne l’étonnent plus guère. Les Anglo-Saxons sont bien plus avancés dans ce domaine : depuis longtemps, ils ont mis en place des numéros d’appel en cas de difficultés psychologiques pour eux-mêmes ou pour un collègue, ainsi que des pages web d’informations, des groupes de soutien pour médecins. « Nous n’en sommes pas encore aussi loin, mais nos objectifs sont clairs : d’une part, contribuer à une meilleure information des anesthésistes et, d’autre part, proposer de nouveaux moyens, tels que la mise en place, courant 2011, d’un numéro Vert respectant l’anonymat ». D’après l’enquête SMART, 70 % des médecins anesthésistes interrogés y sont favorables, considérant ne pas disposer d’assez de ressources pour aider un confrère en difficulté, ou souhaitant, au besoin, pouvoir y recourir pour eux-mêmes. Il faut dire qu’aujourd’hui, personne ne sait vraiment comment aider un confrère chez qui l’on craint un comportement d’addiction ou encore, un confrère qui se replie, s’oppose ou s’absente de façon inexpliquée, ce qui peut traduire une souffrance psychologique grave. « Mais la hotline ne sera pas un outil thérapeutique, plutôt un outil d’orientation vers un réseau de conseils ou de prises en charge spécialisées », tient à préciser le Dr Doppia.
D’autres pistes sont par ailleurs à l’étude. « La FMC, avec la mise à disposition en ligne d’une base bibliographique actualisée et une information délivrée aux internes, comme cela se fait déjà à Caen et à Rouen ». A terme, pourquoi pas, la remise d’un vade-mecum sur les risques du métier ? « Ils font ça très simplement en Catalogne » ajoute le Dr Doppia.
Le médecin a le droit d’être malade et le devoir de se soigner.
Dans certains pays, en s’inscrivant à l’Ordre ou au Collège des médecins, on déclare avoir un médecin traitant personnel. « Alors, pourquoi pas en France ? Mais on mettra du temps… » regrette le Dr Doppia.
Car il faut encore changer les mentalités – celle des médecins concernés, mais aussi celle des décideurs – aussi, le Dr Doppia sait se montrer tenace. « Il n’a pas été facile de faire accepter l’idée qu’il fallait impérativement un repos après une garde de nuit, pour la sécurité des patients mais aussi pour préserver la santé du médecin, anesthésiste-réanimateur ou pas ». La majorité des acteurs de santé reconnaît à présent que c’était une bonne mesure, promue, en son temps, par les syndicats de la spécialité. « Il n’y a pas de raison qu’il n’en soit pas de même pour améliorer la prise en compte de la santé au travail des anesthésistes-réanimateurs ». Il faudrait un suivi mieux organisé (presbytie, presbyacousie, troubles cardio-vasculaires, insomnie, etc.), avec la prise en charge des difficultés d’ordre psychologique quand elles surviennent (addiction, dépression, syndrome d’épuisement professionnel…). Il s’agit d’un réel enjeu, y compris pour la démographie anesthésique !
D’après un entretien avec le Dr Max-André Doppia, CHU de Caen, secrétaire général adjoint du SNPHAR et président de la Commission SMART du CFAR.
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