RICHARD PRASQUIER, le président du CRIF, a au moins raison sur un point essentiel : la décision du tribunal de tenir le procès à huis-clos a été une erreur. Si la lente agonie du malheureux Ilan Halimi fut un modèle d’horreur, si les débats risquaient d’enflammer l’opinion et les familes des accusés, il fallait, en l’occurrence, une justice transparente. Et une justice didactique, capable de montrer à l’opinion nationale comment un projet à la fois criminel et farfelu peut se transformer, sous l’effet de l’antisémitisme, en une tragédie indescriptible. Il nous semble d’ailleurs que les Français juifs n’ont pas vraiment le sentiment que le procès a accordé à l’antisémitisme le rôle qu’il a joué dans l’affaire. C’est apparemment ce qui motive M. Prasquier, auquel Michèle Alliot-Marie a donné si vite satisfaction qu’il n’a pas eu besoin de la rencontrer.
La loi du silence.
L’autre argument, qui concerne les nombreux complices de Fofana, repose sur leur irresponsabilité, qui n’a jamais cédé à la durée lancinante de l’enlèvement, n’a jamais laissé la place à un réflexe salutaire qui eût sauvé le vie de l’otage. Là encore, il était primordial de démontrer que le silence, chez ceux des complices que la prise d’otage n’enthousiasmait pas à son début et encore moins à mesure que le problème devenait insoluble, est devenu éminemment criminel. La solidarité du brigandage, l’allégeance au chef, l’omerta sont les ingrédients classiques des crimes les plus épouvantables, et il fallait l’expliquer. Ces vingt-cinq complices qui n’ont pas manié le couteau, n’ont pas porté le coup fatal, mais ont participé, physiquement ou non, aux supplices infligés à leur otage, méritaient d’être confrontés à leur propre violence, dont ils n’ont cessé de tenté de faire croire, par la voix de leurs avocats, qu’elle n’était qu’une violence d’accompagnement.
Quoi qu’il en soit, si le huis-clos a été une erreur, le procès était faussé dès le premier jour, et il a duré plusieurs mois, sans pour autant apporter à l’opinion ces quelques vérités au sujet de l’antisémitisme qui, après un tel drame, auraient présenté une utilité pédagogique. Ce n’est pas le moindre mérite de M. Prasquier d’avoir voulu inverser la tendance en dépit de l’attitude de la magistrature et sans qu’il remît en cause la force de la chose jugée. Il demeure que, dans une société où aucune institution n’échappe plus à la contestation, il faut lever un soupçon, celui qui pèse sur des magistrats et même des jurés qui ont peut-être souhaité estomper la notion d’antisémitisme parce qu’elle accroît le scandale, qu’elle peut troubler l’ordre public et qu’elle risque de jeter une communauté contre d’autres. Malheureusement, la justice n’est pas autre chose que la recherche de la vérité et, si un jugement ne dit pas toute la vérité, il ne satisfait personne.
De façon bien peu bienveillante à l’égard de la famille de la victime, l’USM (union syndicale des magistrats) n’a pas tardé à se dresser contre la décision de la garde des Sceaux, ce qui tend à confirmer que les magistrats n’ont pas mesuré l’enjeu du procès. Christophe Régnard, président de l’USM, souligne que le procès en appel se déroulera en l’absence de Fofana (pas concerné par l’appel car sa condamnation est conforme aux réquisitions de l’avocat général, ce qui n’est pas le cas pour les complices). Il déplore « un système où la partie civile peut exercer une sorte de vengeance privée ». Mais ce qu’il dit est valable pour n’importe quel appel et il s’abrite derrière l’indépendance de l’institution qu’il représente au moment précis où on lui dit que le procès de l’antisémitisme n’a pas eu lieu. Il dénonce l’ingérence de la politique dans l’exercice de justice, sans avoir compris que ce qui a manqué au procès, c’est sa dimension politique. De ce point de vue, l’intervention de Mme Alliot-Marie est parfaitement justifiée, d’autant que le parquet, de toute évidence, traînait des pieds.
La position du CRAN.
Il est significatif que le CRAN (Conseil représentatif des associations noires), qui peut avoir ses divergences avec la communauté juive, se soit joint au projet de rassemblement prévu pour lundi dernier : c’est une prise de position intelligente, en ce sens qu’elle inclut l’idée qu’un crime raciste, fût-il commis par un Noir, inquiète nécessairement les Noirs. La portée de cette décision est considérable. Elle empêche Fofana de faire de son appartenance ethnique une preuve de « l’acharnement » dont il serait victime. Sa cause est si mauvaise, en réalité, qu’il n’a pas cherché vraiment à tenir ce discours et ses avocats, forcément plus subtils que lui, ont vite repéré l’ornière où ne devait pas s’enfoncer le char de la défense. Politiquement, il n’est pas inutile en tout cas que Juifs et Noirs se retrouvent dans une dénonciation unique du racisme, alors que, hélas, on les voit rarement dans le même camp.
LA CIRCONSTANCE AGGRAVANTE DE L’ANTISÉMITISME NE SEMBLE PAS AVOIR JOUÉ POUR LES COMPLICES
Le président du CRIF, Richard Prasquier, arrive au tribunal pour entendre le verdict
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