Les jours se sont succédé. La rencontre, car je ne considérais pas notre première entrevue comme une consultation, m'était sortie de l'esprit. Monsieur Sarda n’ayant parlé d'aucune maladie, uniquement de ma carrière, je ne le considérais pas encore comme mon patient et j’eus la surprise de le voir dans ma salle d’attente, bien plus tôt que prévu. Intrigué, un peu agacé, je le laissais attendre et à l’heure convenue, je l’invitais à me rejoindre.
— Bonjour Docteur, me dit-il en arborant toujours le même sourire, avez-vous déterré quelques souvenirs depuis notre dernier rendez-vous ?
Ma curiosité était bien plus forte que le léger agacement ressenti. Je le fixai un instant en silence, convaincu que la meilleure manière d’obtenir des réponses n’était pas forcément de poser des questions. Il comprit aussitôt qu’il lui faudrait me fournir des explications.
— Je vous dois des éclaircissements. J’ai déjà évoqué ces années communes durant nos études. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai exercé comme généraliste. Je pense avoir été un bon médecin, mais je n’ai jamais réussi à approcher ce mystère qui fait de vous un praticien hors pair. Je n’exerce plus mais j'aimerais savoir comment vous avez atteint ce degré de perfection dans vos rapports humains, alors je me suis permis d’engager la conversation avec vos patients. Ne le prenez pas mal ! Il m’a suffi de dire que j’étais un de vos nouveaux malades pour qu'un flot de louanges se déverse. Savez-vous que l'un d'eux m'a affirmé qu’il préférerait prendre un placébo avec vous plutôt qu’un traitement éprouvé avec un autre ? Savez-vous aussi quel mot revient systématiquement ?
Il le prononça en détachant bien les syllabes et en hochant la tête :
— L’empathie ! Ce mot extraordinaire ! On s’éloigne de la science, plus de normes, plus de règles, ni de dosages, encore moins de faux-semblants. On ne triche pas dans ce domaine, mais comment maîtriser ça ? Cela ne s'enseigne pas. On est désemparé, on ne sait jamais si on est reçu à l’examen.
Il avait marqué un temps d’arrêt et je sentais bien qu’il souhaitait que je m’engouffre dans la brèche de ce silence. Mais comment ouvrir un coffre dont on ne connaît pas la combinaison ? Expliquer l’inné, si toutefois c'est inné. Autant de questions que je me posais en tentant de répondre aux siennes.
Devant mon air dubitatif, il changea brusquement de sujet.
— Mon épouse est décédée il y a quelque temps, d’un cancer…
La difficulté qu’il avait eue à prononcer ce mot me renseigna sur la proximité du décès. Mes patients avaient beaucoup de mal à nommer cette maladie, rien que son nom leur faisait peur. J’avais souvent observé combien ce mot était tabou quand la médecine s’avérait impuissante. Il était visiblement très ému.
— Mon épouse, poursuivit-il, a été emportée par cette maladie. Je sais qu’elle était terrorisée. Psychologiquement, ses derniers jours ont été extrêmement difficiles et j’aurais aimé que ce soit vous qui la soigniez, qu'elle soit mieux aidée.
Des larmes coulaient maintenant sur ses joues, il ne pouvait plus prononcer un mot. L’émotion qui ravageait son visage accentuait encore les marques de fatigue que j’avais observées lors de notre première rencontre.
— Je vous comprends, monsieur Sarda, restons-en là si vous le voulez bien. Revoyons-nous vendredi prochain à la même heure.
Bien qu’il eût visiblement encore beaucoup de choses à me dire, un sourire triste valida ma proposition. Totalement bouleversé, il quitta la pièce, me laissant désemparé derrière mon bureau.
Hermann Sboniek est âgé de 62 ans et habite un petit village de Drôme provençale. Il exerce encore son activité de photographe et profite de son temps libre pour écrire principalement des nouvelles en explorant tous les genres.
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