Le papier sur l’ORL est punchy, le patron de Françoise Gal attend avec hâte le focus sur l’opération chirurgicale avant le bouclage. Demain, jeudi, jour J.
Il faut que j’arrive à dormir, je ne veux pas flancher devant lui !
Voilà quatre nuits que les propos de son père Jo la hantent. Sous l’oreiller, elle a glissé l’aumônière remise par ce géniteur détestable et détesté. Pourquoi est-il revenu lui annoncer son mariage avec une bimbo de vingt-cinq ans ? Pourquoi lui avoir donné maintenant ce souvenir de sa mère Fulvie ? Sa voix résonne, on dirait qu’il est assis sur son lit.
« Luna va devenir ma femme, elle disposera de ma fortune. Je laisse à tes frères la villa d’Ibiza et mes bagnoles, rien que pour les voir se battre lors du partage (rire mi-cigare mi-whisky). Mais ma fille a toujours été au-dessus du fric, n’est-ce pas ? Donc tu n’auras rien quand je casserai ma pipe. Juste ceci, tiens. Ça aurait fait plaisir à ta mère. Je n’ai aimé qu’elle, que tu le croies ou non, Fran. Ces toubibs de mes deux me l’ont volée ! Ils l’ont laissé crever dans cet hosto pourri. Et toi qui voulais faire Médecine pour foutre en l’air la vie des gens ? J’ai pas supporté ! »
Et en ce drôle de dimanche, Jo avait sauté dans le train de 17 h 55, plantant-là sa cadette devant un thé refroidi.
Françoise caresse la pochette contenant une mèche de cheveux et s’endort.
Jeudi 6 h 30. Il fait encore nuit à la sortie du métro Jussieu, au bas de la rue Linné.
La journaliste pénètre en avance dans le hall de la Clinique Saint-Hilaire. Après s’être enquise de l’ORL Pline Morès, elle s’assied dans le couloir, disciplinant son carré avec la barrette de sa mère. Une rose en grenat. Soudain, sur le mur en vis-à-vis, un nom doré gravé sur une plaque de marbre attire son regard et confirme son intuition. Le puzzle avance. Ce n’est pas le moment de trahir ses émotions, elle doit suivre son plan sans que ce praticien ne se doute de rien.
Le voilà d’ailleurs qui sort de l’ascenseur, tête dans les épaules, et vient la chercher. Elle avait trouvé son équivalence phonétique : mort et spleen. Pas très sexy.
— Mademoiselle Gal…
— De Véran ! J’ai repris le nom de ma mère : Fulvie de Véran.
Pline ne tique pas - privant ainsi sa Candide d’un jour du plaisir de le piéger - et enchaîne : « À partir de là, coupez votre téléphone et utilisez vos sens, pour une fois. »
Coup d’œil à la plaque commémorative, signe de croix en pensée, Françoise monte au sixième étage, se prépare du calot aux sur-chaussures, entre dans la salle où attend, anesthésié, un petit Noé de cinq ans, sourd de naissance. Dieu parait, casaque verte à même la peau. Scalpel. Avant d’inciser, le chirurgien revoit Fulvie. Coup de chaud sous sa charlotte.
L’émotion de la jeune femme face au bout d’chou entendant pour la première fois, se cristallise plus tard en rallumant son portable. Ça bipe en cascade.
— Allo ? C’est nous. Le paternel est aux urgences, le cœur.
— C’est encore nous, rappelle.
— Papa est dans le coma, merde, réponds !
— Françoise… il est mort.
La fille de Jo Gal accueille sans ciller la funeste nouvelle. Aucun lien ne les unissait, au fond. C’est peut-être normal. Tout s’expliquerait. Françoise échafaude son histoire. Elle doit savoir.
Mais pour l’heure, elle se sent vidée d’avoir observé un magicien en action. Comment peut-il réitérer chaque jour et tenir le choc ? Une attirance incontrôlée l’étreint. Non ! Elle ne doit pas !
La nuit tombe. Pline ralentit face à la plaque « À notre donatrice Fulvie de Véran » et rentre chez lui. Impossible de faire le rapprochement avec cette fille, sa fille. Il ne croit pas au hasard. À raison.
Prochain épisode dans notre édition du 7 novembre
Corinne Torrelli ouvre ses yeux bleus le 1er janvier 1965, sur fond de Baie des Anges. Diplômée en informatique, cette artiste dans l’âme connaît un coup de foudre romanesque avec Paris. Après trois décennies, deux grands fils et une carrière à la SNCF, l’insatiable optimiste partage sa sensibilité à fleur de peau et son grain de folie au travers de belles histoires. L’Écriture au Panthéon de ses passions.
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