Elle ne décida pas vraiment de le suivre, c’est en mettant sa main sur sa sacoche qu’elle se trouva engagée. Elle enfila son manteau et le précéda dans le couloir glacé. Il descendit derrière elle, la poussant, elle et ses inquiétudes, vers une de ces histoires insolites qu’on raconte à l’apéritif pour distraire ses amis. Elle se demandait quand même si c’est avec le sourire ou avec effroi, qu’elle ferait ce récit.
La rue brillait d’une bruine glacée où se reflétaient les milliers de petits soleils multicolores suspendus dans le ciel. Il se porta à sa hauteur et lui dégaina, comme un vieux colt rouillé, un sourire pitoyable. Elle réussit à bloquer un réflexe idiot qui voulait la pousser à le lui rendre. Ce garçon l’intriguait.
Tout dans cette histoire semblait la mener vers un repaire sordide où un truand, complice de ce jeune imbécile, les attendait avec une balle dans la peau. C’est du moins ainsi que cela se passait au cinéma. Mais cet homme ne correspondait pas vraiment au rôle que lui offrait ce scénario. Tout d’abord, il lui manquait cette vigilance inquiète des bandits de cinéma lorsqu’un de leurs coups a foiré et qu’ils cherchent à se tirer d’un mauvais pas. Ensuite, et surtout, elle ne parvenait pas à le voir une arme à la main. Elle ne parvenait même pas à l’imaginer se garant sur une place réservée aux handicapés.
Lorsqu’il ouvrit la porte d’une antique Renault 12 et l’invita d’un geste emprunté à y prendre place à son côté, la magie cinématographique de l’aventure en prit encore un coup. De profil, le garçon lui semblait étrangement familier, bien qu’elle fût certaine de ne l’avoir jamais rencontré. Elle regarda son ravisseur dans ce sinistre éclairage de Noël, mais sans plus parvenir à le cerner. 25 ans environ, un visage encore marqué par les blessures d’une adolescence acnéique, un nez très droit et plutôt pas mal dessiné, mais qui ne parvenait pas à arracher l’ensemble à une sombre banalité. Il sentit ce regard et se tourna vers elle. Elle se mit à crier.
Il monta sur ses freins. L’expression prenait là tout son sens, car ses fesses décolèrent littéralement de son siège. Trente mètres devant eux, un gigantesque 4X4, un monstre monté en graine sur de gigantesques roues venait de griller un feu, découpant la circulation de leur file de ses deux tonnes et de toute sa masse. L’image de Pierre et de son merveilleux sourire s’interposa entre elle et cette catastrophe qui fondait sur eux. Elle eut le temps de repenser à la douceur de sa peau et de son regard, puis tout s’effaça devant le présent.
Toutes les voitures devant eux cherchaient désespérément à échapper au carambolage. La toute première de la file entrait déjà en collision avec la masse noire. Le bruit de l’impact leur parvint tandis que le pare-chocs arrière d’une Toyota, lui aussi parsemé de petits éclats colorés de Noël, semblait se précipiter sur leur capot avant.
Susie, le jeune conducteur qui l’avait entraînée dans cette histoire, la berline, la Toyota, ainsi que les trois autres véhicules intercalés qui s’efforçaient d’éviter l’accident en freinant désespérément, furent tous pris dans une de ces bulles temporelles où le monde ralentit son rythme pour permettre à chacun de faire un point sur sa vie avant un éventuel malheur.
Le deuxième véhicule de la file percuta l’arrière du premier comme pour l’aider à enfoncer la berline noire qui résistait de toute sa masse à cet effroyable impact, mais tout juste daigna-t-elle pivoter sur son axe pour mettre son conducteur, étourdi ou ivre, face à ses victimes. La vieille Renault, tel un animal effrayé qu’on cherche à traîner devant son bourreau, s’appuyait sur son train avant et levait ses fesses pour piler plus efficacement. Elle était la seule, bien évidemment, à ne pas bénéficier de l’ABS… Pierre… Elle se promit tout en se préparant au choc et si elle survivait, de repartir à sa conquête.
Né à Aurillac en 1958, Jean Chauzy grandit dans une petite cité HLM posée tout au bout de la ville. Il connaîtra là une enfance insouciante et heureuse. Des études à l’école Hôtelière de Souillac le mènent vers une carrière dans le domaine du vin. Il est l’auteur, sous le pseudonyme de James Wouaal, d’un « Éphéméride à l’usage des Mécréants » où il revisite, de manière parfaitement farfelue, la biographie des saints du calendrier.
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