Qu'on l'écoute ou qu'on la pratique, la musique s'insinue dans notre cerveau de bien des façons. « Peu de régions du cerveau y échappent », indique au « Quotidien » Hervé Platel, professeur de neuropsychologie à l'université de Caen.
L'écoute musicale ne se contente pas d'activer les régions auditives du cerveau, elle fait intervenir de nombreux autres circuits neuronaux. Elle réveille aussi les régions motrices. « La synchronisation auditovo-motrice explique l'envie de taper du pied à l'écoute de la musique, explique Hervé Platel. Ce phénomène s'observe déjà chez les bébés, mais aussi chez les animaux, comme les perroquets. »
Les circuits de la mémoire, en particulier au niveau de l'hippocampe, sont également sollicités. « L'écoute musicale n'est pas passive, elle entraîne tout un travail de mémoire : ai-je déjà entendu cette musique ?… », souligne Hervé Platel.
Enfin, le plaisir ressenti à l'écoute de la musique est dû à l'implication du circuit de la récompense et de son cocktail d'hormones : dopamine, sérotonine, endorphine… Selon le chercheur, « le plaisir ressenti relève de la façon dont on a construit sa culture musicale ». Une construction qui débute déjà in utero.
Certains résistent toutefois au charme de la musique. En cause, l'amusie et l'anhédonie musicale. « Les personnes souffrant d'amusie entendent la musique, mais ne la reconnaissent pas », explique au « Quotidien » le Dr Pierre Lemarquis*, neurologue à Toulon, donnant l'exemple du Che Gueverra incapable de réagir à l'hymne cubain. Le cerveau n'est pas capable de traiter l'information sonore, alors que l'anhédonie musicale est due à une altération du circuit de la récompense spécifique à la musique.
Des modifications notables
La musique modifie par ailleurs de façon notable le cerveau des musiciens professionnels. « Ils contribuent à mieux comprendre la neuroplasticité, c'est-à-dire la manière dont le cerveau est reconfiguré par un entraînement », affirme Hervé Platel.
Des modifications fonctionnelles et structurelles sont ainsi observées au niveau des régions motrices (de par la gestuelle spécifique des musiciens) et auditives des musiciens, caractérisées notamment par une densité neuronale et une épaisseur corticale plus importantes.
La pratique de la musique induit également un épaississement du corps calleux, situé à la jonction des deux hémisphères. L'hippocampe est également particulièrement développé chez les musiciens, suggérant qu'une pratique à long terme pourrait améliorer la mémoire.
L'analyse de cohortes nordiques (2014 et 2017) va dans ce sens. L'étude de jumeaux - un musicien, l'autre non - a mis en évidence des différences cérébrales entre les deux ainsi qu'un potentiel effet protecteur contre la démence. « La musique semble contribuer à la réserve cognitive », note Hervé Platel.
Toutefois, « les styles musicaux ne façonnent pas le cerveau de la même manière », précise le Dr Lemarquis. Comme en témoigne notamment une étude allemande publiée en janvier ayant comparé le cerveau de pianistes jazz et classique. Les joueurs de jazz, adeptes de l'improvisation, ont notamment une mémoire à court terme plus développée.
Les bienfaits de l'écoute
L'écoute musicale pourrait également induire des changements au niveau cérébral. Une étude allemande (2007) a par exemple montré que la danse - associée donc à de l'écoute musicale - augmentait davantage l'épaisseur corticale de l'hippocampe que la pratique de la gymnastique (sans musique) chez des personnes âgées en bonne santé.
Les effets bénéfiques de l'écoute ne sont par ailleurs plus à prouver : « Chez des patients apathiques, l'écoute musicale peut entraîner de manière impressionnante un éveil cognitif », raconte Hervé Platel. « Au contraire, chez des patients en début de pathologie, stressés et sujets à des troubles de l'humeur, elle aura des vertus apaisantes ». Une étude japonaise chez le rat (2004) a d'ailleurs montré que l'écoute de musique relaxante mène à une réduction de la pression artérielle.
« Par ses effets chimiques, la musique agit comme un médicament. Elle améliore la marche chez les patients atteints de Parkinson, atténue la douleur… », note le Dr Lemarquis. La musique a en effet trouvé sa place dans les soins, en particulier chez les patients Alzheimer. « La mémoire musicale est beaucoup plus résistante que la mémoire verbale », souligne Hervé Platel. S'appuyant sur ce constat, une étude a montré que l'apprentissage de nouvelles chansons restait possible chez ces patients, révélant ainsi des capacités que l'on pensait perdues.
Une étude est en cours pour mieux comprendre les circuits empruntés dans l'apprentissage de nouvelles informations chez ces patients. Mécanismes neurophysiologiques, effet sur le vieillissement, impact des différents styles musicaux… La musique n'a pas fini de livrer ses secrets.
*Auteur de Sérénade pour un cerveau musicien, éditions Odile Jacob
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