IDEES - Meurtres de masse

Les figures de l’éliminationnisme

Publié le 11/02/2013
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DANS UN OUVRAGE précédent, « les Bourreaux volontaires de Hitler » (Seuil, 1997), l’écrivain américain avait créé une sorte de scandale. Il y soutenait qu’une grande partie de la population allemande avait prêté main-forte au génocide. D’une certaine façon, il réitère ses analyses dans ce gros ouvrage. N’écrit-il pas que dans le cas de l’Holocauste – terme retenu aux États-Unis –, il y a eu une « fixation injustifiée » sur la technologie et les chambres à gaz ? Il ne s’agit pas d’un événement meurtrier isolé, mais d’« une partie d’une attaque éliminationniste à large échelle des Allemands contre les Juifs ».

Cette fois, les tueries de masse et les génocides sont subsumés sous une catégorie plus vaste, l’éliminationnisme, concept qui, selon l’auteur, regroupe cinq phases successives : la transformation, c’est-à-dire la destruction des identités sociales, politiques et culturelles ; la répression, qui consiste à maintenir territorialement à portée de main les populations haïes en exerçant sur elles une domination violente (esclavage) ; l’expulsion ; l’interdiction de la reproduction ; l’extermination.

Si la Shoah a « l’avantage » de regrouper ces cinq cas de figure, le goulag, l’impérialisme japonais, le Cambodge, le Rwanda et les colonialismes européens du siècle précédent ne se débrouillent pas mal. Mais ce n’est pas par hasard que l’ouvrage commence par l’explosion d’Hiroshima le 6 août 1945. Harry Truman choisit de faucher la vie d’environ 300 000 hommes, femmes et enfants sans qu’il y ait aucune nécessité stratégique, et doit être considéré comme un meurtrier de masse au même titre que Hitler, Staline, Mao Tsé-toung et Pol Pot.

Cultures de haine.

On voit par là que le concept d’éliminationnisme permet une généralisation vers le haut et vers le bas. L’extermination de dizaines de milliers de personnes suffit dès lors qu’en général au moins quatre conditions sur les cinq s’y retrouvent : Herreros et Namas décimés par les Allemands, Kikuyus par les Britanniques, Bosniaques par les Serbes, la liste est longue.

« Pire que la guerre » a le mérite de cibler par ce titre toutes les horreurs qui ne sont pas directement liées à l’expression d’armes antagonistes, mais en découlent souvent. L’auteur cite le cas de juifs au bord de la mort exhibés dans des parcs à des citoyens allemands bien vêtus, venus les voir comme des bêtes curieuses.

Sur le plan théorique, l’auteur refuse à la fois l’explication par la pulsion meurtrière interne, par les conditions externes auxquelles on ne peut se dérober (même les exterminateurs nazis ont pu obtenir l’autorisation d’arrêter de tuer) et se dispense de pleurer sur la méchante nature humaine. Restent des « cultures de haine » qui peuvent à un moment donné contaminer tout le monde. La banalité du mal, en somme.

Daniel Jonah Goldhagen, « Pire que la guerre - Massacres et génocides au XXsiècle », Fayard, 680 p., 28 euros.

ANDRÉ MASSE-STAMBERGER
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Source : Le Quotidien du Médecin: 9217