Article réservé aux abonnés
Dossier

Numérique

Réseaux sociaux : comment les utiliser sans risque ?

Publié le 17/10/2022
Réseaux sociaux : comment les utiliser sans risque ?


PHANIE

Les médecins sont de plus en plus nombreux à être présents sur des réseaux sociaux. Cela peut être utile pour s’échanger des informations entre confrères et participer à des discussions sur l’actualité. Mais il faut veiller au respect de la confidentialité des patients.

Le médecin tout seul dans son cabinet, qui ne communique quasiment avec personne en dehors de ses patients, semble appartenir à une époque quasi révolue. D’abord, bien sûr, avec le développement de l’exercice coordonné. Mais aussi car de plus en plus de médecins utilisent désormais des réseaux sociaux pour échanger des avis sur un cas clinique, demander un « tuyau » à des confrères sur l’organisation concrète de leur cabinet ou encore participer à des débats de société.

La principale raison de cette augmentation de la fréquentation est la pandémie de Covid, qui a entraîné dans toute la société une progression de l’usage des réseaux sociaux, un remède à la solitude du confinement et de ses suites, et les professionnels de santé ne font pas exception à la règle. Dorénavant, « 51 % des médecins déclarent être sur les réseaux », selon un sondage réalisé pour Medscape auprès de 1 000 médecins (enquête sur le comportement des médecins sur les réseaux sociaux, 24 mars 2022). Dans le détail, 63 % sont sur Facebook, 58 % sur WhatsApp, 24 % sur Instagram et 13 % sur Twitter. Alors qu’ils ont longtemps été réticents à les utiliser, notamment par crainte d’un défaut de confidentialité, leurs comportements ont fini par changer face à tous les avantages qu’apportent les réseaux en termes de convivialité et d’échange d’informations.

Profiter de l’avis de confrères

Il est indéniable que les fils de discussion entre médecins sont de plus en plus populaires. En témoigne le succès croissant de #doctoctoc sur Twitter (voir encadré page 10), hashtag par l’intermédiaire duquel des praticiens évoquent en moins de 140 signes des cas cliniques, s’interrogent sur un remplacement ou parlent des réformes de santé en cours. « Ce type de messagerie apporte de vraies solutions aux médecins qui veulent être rassurés dans leur pratique. Ces espaces de discussion doivent rester conviviaux et professionnels. À ces conditions-là, ils répondent à des attentes de la profession », nous confie le Dr Jean-Paul Hamon, médecin généraliste à Clamart (Hauts-de-Seine) et président honoraire de la Fédération des médecins de France. À condition de garder en mémoire que ces avis, demandés à des confrères, ne doivent pas être assimilés à de la télé-expertise ou à de la formation. C’est surtout une mise en commun d’opinions sur des cas cliniques, qui ne doit en rien se substituer à une consultation.

Attention aux « dérapages »

Gare aux écueils. Certaines communautés en ligne ont eu à faire face à des « dérapages » de leurs membres. En janvier 2020, c’est le groupe Le Divan des médecins (sur Facebook) qui est épinglé. Certains commentaires sexistes et totalement déplacés font l’objet d’un signalement auprès d’associations de patients. Parmi les « perles », ce type de commentaires : « Une patiente qui fait 1,50 m et qui demande un contraceptif ; ce n’est pas la peine, vu sa taille, c’est déjà un contraceptif en soi ». Ou encore : « Quand les seins tombent, je refuse la consultation ». L’image de ce groupe fermé, regroupant plus de 20 000 praticiens, fut écornée. Depuis, il assure avoir renforcé son règlement pour éviter que l’« humour carabin » se transforme en véritable dénigrement des patientes. « Nous vérifions strictement que les membres sont médecins ou étudiants en santé. Ce groupe est apolitique, non partisan et respecte le cadre de la liberté d’expression, chacun restant responsable de ses propos », écrit le modérateur sur la page Facebook.

Des précautions à prendre sur le plan juridique

Ce dérapage du Divan des médecins est annonciateur d’autres dérives à venir, selon certains juristes. « Je pense que l’utilisation massive des réseaux sociaux par les médecins va entraîner bientôt des procès. L’envoi de photos en ligne de patients, sur les fils Twitter, pose problème, estime l’avocat Benjamin Pitcho, spécialiste du droit de la santé. On assiste en ce moment à une dérive. Quand un médecin, même de bonne foi, met en ligne l’image d’une tumeur au bras d’un de ses patients pour recueillir l’avis éclairé de ses confrères, comment être sûr que ce patient ne va pas se reconnaître ? »

Question clé à l’heure des réseaux, faut-il ou non poster des images d’un patient ? Pour le Conseil national de l’Ordre, c’est non, car cela peut mettre en péril le secret médical. Dans son livre blanc de la déontologie médicale, l’institution précise que « les médecins doivent protéger la confidentialité de leurs patients ». Selon l’article 114 du code de la déontologie médicale, « les médecins doivent faire preuve de prudence, et avoir le souci des répercussions de leurs propos auprès du public ». De fait, plusieurs médecins interrogés nous affirment prendre leurs précautions, « toujours demander l’autorisation du patient avant de diffuser une image » et « s’assurer qu’ils ne sont pas reconnaissables sur la photo ».

Mais ces règles de prudence, même de bonne foi, sont-elles sûres à 100 % ? Pas vraiment, selon l’avocat Benjamin Pitcho, qui met en avant un autre risque, lié à la circulation de ces images sur la Toile : « Un des proches du patient, voire son employeur ou son banquier, va peut-être malgré tout le reconnaître et apprendre qu’il est gravement malade. On fait face à des enjeux éthiques majeurs. Comment garantir à 100 % le secret médical si on tweete ce genre d’images ? À l’heure où Google connaît tout de nous, qui peut assurer que ces données de santé confidentielles vont le rester ? », s’interroge-t-il.

Le médecin urgentiste Mathias Wargon partage cet avis. « Je ne parle jamais de mes patients dans mes tweets, et je ne transmets jamais leurs photos. » Au final, sauf si le patient a donné un accord écrit disant qu’il autorise la diffusion de ses photos, ce qui est rarement le cas, les médecins ont plutôt intérêt à ne pas diffuser ces images sur les comptes sociaux. Sinon, la perspective de voir des milliers d’images de patients sur la Toile est vertigineuse, avec une mémoire du net qui ne s’efface pas. Le secret médical va-t-il définitivement se perdre sur la toile ?

Ne pas utiliser les réseaux pour sa publicité

Pour autant, il ne faut pas diaboliser les réseaux mais, au contraire, les utiliser à bon escient. L’Ordre met notamment en garde sur le fait que l’information délivrée par les médecins ne doit pas servir à promouvoir leurs auteurs, c’est-à-dire, trivialement, à racoler les patients. Une dérive bien réelle : certains spécialistes – en chirurgie esthétique notamment – ont été condamnés pour avoir fait de la publicité en ligne, contrevenant aux règles de déontologie.

Une autre recommandation de l’Ordre conseille aux médecins de ne pas devenir « ami » avec leurs patients sur Facebook pour éviter de mêler le privé et le professionnel. Une consigne qui fait bondir le Dr Jean-Paul Hamon : « Je n’ai pas besoin de l’Ordre pour savoir si j’ai le droit d’être “ami” ou pas sur Facebook avec tel ou tel patient. À moi de rester vigilant, je n’ai pas besoin de recevoir des leçons de morale ».

Des leaders d’opinion très suivis

Sur la Toile, certains comptes font aussi fonction d’agora, avec des leaders d’opinion très suivis. Le Dr Mathias Wargon en est l’illustration avec 45 000 followers sur Twitter. Il estime « nécessaire que les médecins soient présents sur les réseaux sociaux. Cela fait partie de notre rôle ». Lui-même choisit de s’exprimer sous son nom, sans pseudo, à ses risques et périls. « Le seul risque, c’est de se faire insulter, et ça m’arrive souvent », nous confie-t-il, racontant « s’être souvent engueulé avec des gens sur les sites des collectifs interurgences et interhôpitaux. Car je trouve que, parfois, les posts donnent lieu à des campagnes de cyber­harcèlement contre des médecins ».

Mais, à ses yeux, l’enjeu est d’importance. « Pourquoi devrait-on uniquement laisser l’expression publique aux seuls syndicats, ou aux directions ? C’est très utile de pouvoir donner notre avis de médecin et de citoyen sur Twitter. »

Parmi les autres « poids lourds » figure le blog du médecin généraliste Dominique Dupagne, qui a 22 000 followers. Il intervient fréquemment sur des questions de santé publique, comme la gestion de la crise sanitaire du Covid, ou des sujets très concernants, comme le risque – minime à ses yeux – d’avoir un cancer en mangeant trop de jambon en raison des nitrites. Sur la thématique du Covid, le fil du docteur Antoine Flahault, épidémiologiste, est lui aussi très suivi, avec plus de 30 000 abonnés, en particulier dans la communauté scientifique. Son avis fait souvent référence sur les questions d’évolution du virus. Il est très lu, en ce moment, sur les sujets liés au Monkeypox. « J’apprends beaucoup de choses sur les pathologies qui circulent en lisant son fil Twitter. C’est plus utile pour moi que la radio ou la télé pour savoir vraiment ce qui se passe », nous assure un médecin généraliste.

Ce type de professionnels est affublé du qualificatif de digital opinion leader, tant leur prise de parole est jugée crédible par leurs confrères. Ils font, sur les réseaux, l’objet de beaucoup d’attention, y compris parfois des laboratoires pharmaceutiques, qui les ciblent pour leur fort potentiel de prescription. Le développement des réseaux de santé est en effet un enjeu commercial important pour l’industrie.

La communication sur les réseaux sociaux se fait aussi par spécialité médicale. Ainsi, le groupe Facebook intitulé Médecins généralistes compte 13 000 membres. Ces communautés accueillent entre autres des annonces pour toutes sortes de formations en « diabétologie », « acupuncture », ou mentionnent des congrès à venir. Des groupes d’autres spécialités sont très suivis. L’un d’eux, dédié aux réanimateurs-anesthésistes, affiche 11 500 membres. « On discute de cas cliniques, de traitements, des consensus et des mises à jour. On peut aussi accéder à des publications scientifiques, c’est très utile », note un de leurs membres. Mais les discussions les plus fréquentes sont liées aux offres d’emploi. Comme ce post envoyé fin juillet : « Nous recherchons des médecins pour rejoindre des maisons de santé et des urgences, visant à répondre à la désertification médicale, sur Marseille, Paris 19e, Créteil, Dijon, Nîmes, Bordeaux… ». Avec ces problématiques émergentes, les réseaux sociaux ont de beaux jours devant eux pour le secteur médical.

Quand YouTube devient partenaire de l’AP-HP

L’Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP-HP) a annoncé, début octobre, un partenariat avec YouTube pour « fournir une information médicale de qualité ». Avec la pandémie, les réseaux sociaux ont en effet été très utilisés à travers le monde par les citoyens cherchant de l’information médicale, avec des sources plus ou moins fiables. Dès 2020, l’Organisation des Nations unies, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), des États et les réseaux s’étaient engagés contre l’« infodémie ». Le partenariat conclu entre la plateforme de vidéos et le groupe hospitalier parisien vise à « vulgariser des thématiques médicales auprès du grand public » en fonction des sujets les plus recherchés sur YouTube : cancer colorectal, gynécologie, diabète, troubles psychiatriques et intoxications. Pour ces vidéos, les deux partenaires comptent s’appuyer sur les professionnels de santé de l’AP-HP.

Marc Payet