Dans son budget annuel, le ministre des Finances britannique Jeremy Hunt a annoncé une enveloppe « spéciale » pour accélérer la digitalisation du NHS, le service public national de santé, qui a célébré son 75e anniversaire. Quelque 3,4 milliards de livres (4 milliards d’euros) vont être investis – dont deux tiers dès 2024 – pour moderniser les équipements obsolètes et numériser les procédures administratives au sein de cette vénérable institution et la rendre plus performante. « Tout investissement est bon à prendre, salue le Dr Amar Ahmed, médecin généraliste dans le cabinet de Wilmslow, dans le nord-est de l’Angleterre. Mais le risque, c’est que ce financement nouveau bénéficie intégralement aux soins secondaires et hospitaliers… Les soins primaires obtiennent en ce moment 8 % du budget du NHS alors qu’ils représentent 95 % des consultations. »
Pourtant, la digitalisation a commencé à faire ses preuves dans l’amélioration de l’efficacité des cabinets de soins primaires. Le Dr Dustyn Saint, généraliste à Long Stratton, dans l’est de l’Angleterre, explique que le recours croissant aux technologies numériques a permis à chaque médecin du centre où il exerce de gagner déjà « une heure par jour ». Équipements, services dématérialisés, aide à la prescription… : les outils et procédures y ont été automatisés autant que possible. « Une analyse de sang pour un patient diabétique est étudiée par l’équipe administrative selon un protocole informatisé sans qu’un médecin ne regarde, illustre-t-il. Prescrire des médicaments de soutien pour la fin de vie se fait maintenant en trois clics et une minute, alors qu’un médecin pouvait y passer 15 à 20 minutes. »
L’IA est très efficace pour les tâches administratives, même si tout est toujours contrôlé par un humain »
Dr Dustyn Saint, médecin généraliste
Des assistants médicaux sont déjà formés pour piloter ces procédures automatisées, les médecins se recentrant de plus en plus sur leur rôle de diagnostic et d’expertise. « Il s’agit aussi de nouvelles méthodes de management soutenues par la technologie », analyse le Dr Dustyn Saint. Son cabinet recourt même à l’intelligence artificielle pour des tâches administratives, comme la rédaction de documents et certificats ou des interactions avec les patients. « L’IA est très efficace pour cela, même si tout est toujours contrôlé par un humain », relève-t-il. Mais le Dr Dustyn Saint reconnaît qu’il fait partie des cabinets déjà les plus avancés en termes d’usages numériques alors que nombre de ses confrères sont à la traîne.
La numérisation annoncée des soins primaires a encore de grandes marges de progression. « Lors de ces vingt dernières années, il n’y a eu que deux fournisseurs de logiciels métiers sur le marché, ce qui a empêché la compétition et desservi les soins primaires, explique le Dr Amar Ahmed. Heureusement, le NHS vient d’encourager l’entrée de nouveaux acteurs. Un cadre pour l’innovation et les nouvelles technologies a aussi été créé pour aider les cabinets à adopter de nouveaux systèmes informatiques. Nous faisons partie des pilotes, cette expérience commence. »
Masse énorme de données inexploitées
À ce stade, les solutions les plus récentes d’IA ne sont pas encouragées pour l’amélioration des soins eux-mêmes, mais c’est ce à quoi pourraient contribuer les 3,4 milliards de livres injectés par le gouvernement britannique. « Nous avons une masse énorme de données de santé enregistrées, mais nous n’en faisons rien pour le traitement des patients parce que nous n’avons pas la technologie adéquate, s’impatiente le Dr Amar Ahmed. L’intelligence artificielle pourrait déjà nous aider à mieux prendre en charge nos patients, de façon beaucoup plus proactive. Certains outils spécifiques permettent de détecter les patients à risque de développer un cancer dans le futur. »
Si la digitalisation devrait optimiser l’organisation et l’efficience, elle ne permettra pas de régler les problèmes structurels des soins primaires du NHS, à saturation complète, avec des délais d’attente interminables. Selon les chiffres de la British Medical Association (BMA) de mars 2024, le NHS a perdu l’équivalent de 1 830 généralistes qualifiés à temps plein depuis 2015. Le nombre moyen de patients dont chaque médecin traitant est responsable s’élève à 2 295, une augmentation de 18 % sur la même période (soit 357 personnes en plus !). « Le gouvernement doit d’abord travailler sur le recrutement, la fidélisation du personnel soignant et la formation, recadre le Dr Amar Ahmed. Tant que ces problèmes ne sont pas réglés, la digitalisation du NHS est presque sans importance. »
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