Dans la santé mentale, notre pays est en retard en matière de numérique : c’est le constat dressé par plusieurs professionnels de santé à l’occasion de la journée des Grandes Tendances de l’e-santé 2025. Alors que l’Allemagne rembourse des thérapies numériques (DTx) depuis 2021, la France foisonne de projets sans parvenir à les finaliser.
Pour autant, les personnes en difficulté psychique recourent à internet, ChatGPT ou des applications qui ne reposent souvent sur aucun fondement scientifique. « Nous nous battons avec un bout de bois contre des géants du marketing qui utilisent les connaissances développées dans le champ de la santé pour pousser à des comportements délétères », se désole le Dr David Labrosse, médecin en santé publique et président du collectif MentalTech. Il devient impérieux de définir un cadre réglementaire pour développer des services adaptés à la demande tout en protégeant les usagers. « Le besoin est là, il est urgent d’y répondre pour éviter les dérives », alerte le médecin.
Vers une « pharmacovigilance » du numérique
Un enjeu majeur pour les applications en santé mentale est de produire des preuves, suivant des méthodologies robustes répondant aux exigences des autorités de santé, afin d’être validées. Et l’innocuité reste un angle mort des études sur les DTx : il s’agit de vérifier que leur utilisation n’engendre pas de retard pour le diagnostic et la prise en charge. « Le numérique comporte une part de risque, il faut accroître la confiance par la transparence », expose Line Farah, directrice du grand défi « Dispositifs médicaux numériques en santé mentale » à la Délégation ministérielle au numérique en santé (DNS).
De nouvelles notions seraient à créer selon Line Farah et le Dr David Labrosse : la numéricovigilance et l’algorithmovigilance. Le but pour le collectif MentalTech est d’« encadrer et sécuriser le déploiement des technologies numériques en santé mentale afin de maximiser leurs bénéfices tout en minimisant leurs risques : réponses non adaptées à la demande, dépendance à l’utilisation, émergence ou aggravation de troubles ».
Pour l’instant, la réglementation n’est envisagée que pour des outils conçus par version logicielle. Mais des réflexions sont en cours pour l’adapter aux solutions évolutives basées sur l’intelligence artificielle. Une piste serait « l’évaluation du processus de développement plutôt que du produit fini », rapporte Line Farah.
Double acculturation des évaluateurs
Le Dr Labrosse pointe un frein à la concrétisation d’outils numériques en prévention primaire : l’accès au marché. Éviter l’apparition des troubles allégerait la charge sur le système de santé. Mais comme les personnes ne sont pas en demande active, le modèle économique n’est pas assez solide pour les industriels. Ainsi, « il nous faut de l’action publique pour développer et porter ces solutions », défend-il.
Autre enjeu, il est nécessaire de sensibiliser les évaluateurs à la fois à la dimension du numérique et à celle de la psychiatrie, pour trouver des critères d’évaluation pertinents. Pour cela, « il faut dès le départ inclure les financeurs et évaluateurs dans la boucle des expérimentations », note Line Farah. Et pour garantir l’utilité d’un investissement public, « il faut imaginer un monde du remboursement différent, responsabilisant pour l’entrepreneur », estime le Dr Labrosse : diffuser l’application puis, une fois les données probantes obtenues, autoriser le remboursement.
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