Le Généraliste Quel a été l’élément déclencheur de l’intérêt de l’Ordre pour « l’ubérisation de la santé » ?
Dr Jacques Lucas La mise en ligne du site « Deuxième avis » est à l’origine de cette mission, mais cette plateforme s’inscrit dans une lignée d’observations que nous avons déjà fait sur des prestations qui ubérisent la médecine en ce qu’elles s’exonèrent de contraintes qui peuvent être appliquées au cadre réglementaire de la télémédecine.
Ces sociétés tiennent d’ailleurs un discours un peu spécieux selon lequel, en s’abstenant de passer un contrat avec une Agence régionale de santé (ARS), elles ne rentrent pas dans le cadre de la télémédecine mais dans celui des téléconseils personnalisés. On voit de plus en plus d’offres de ce type apparaître. Il convient de les distinguer de la téléconsultation proposée par un assureur complémentaire, qui peut être conforme à la réglementation, mais qui pose alors la question, cette fois politique, de la place de l’assureur complémentaire dans le fonctionnement du système de santé.
Le comble est que l’état actuel de la réglementation ne permet pas aux médecins de premier recours d’effectuer le même type de téléconsultation par téléphone pour des patients déjà suivis, et d’être honorés pour cela.
Quelles sont justement vos préconisations en matière de télémédecine ?
Dr J. L. Nous demandons clairement de ne pas laisser s’instaurer une ubérisation de la télémédecine dans un secteur non régulé et laisser peser dans le même temps des contraintes réglementaires très contraignantes lorsqu’il s’agit de prendre en charge des patients par télémédecine dans le cadre du parcours de soins.
Il faut donc réécrire une partie du décret télémédecine. À nos yeux, des activités de téléconsultation, télé-expertise ou télésuivi, comme formes de pratique médicale, n’imposent en rien un contrat avec une ARS. Il faut simplifier le décret sur ce point pour permettre à une télémédecine quotidienne de se déployer sur le territoire dans le cadre des parcours de soins.
Cette activité doit être inscrite dans la classification commune des actes médicaux (CCAM) afin de bien la définir et elle doit être tarifée. Il ne s’agit évidemment pas de déclencher le minuteur à chaque fois qu’un médecin recevra un coup de téléphone !
Ce n’est pas à l’Ordre de dire quelles doivent être les modalités de rémunération mais on peut les trouver : sous forme d’honoraires dans certains cas, de forfaits peut-être dans d’autres.
Il faudra parallèlement modifier l’article 53 du Code de déontologie. Dans sa rédaction actuelle, « le simple avis ou conseil » donné par téléphone ne peut pas donner lieu à honoraire. Or, s’agissant d’un cas où le patient a un dossier, est suivi et traité pour une pathologie déterminée, la décision prise par téléphone n’est pas prise à la légère mais repose sur des données objectives. Nous disons cela dans le cadre du parcours de soins.
Cela concerne tout autant les médecins libéraux, généralistes ou spécialistes, que les confrères hospitaliers. La rédaction de l’article 53 du code doit donc être modifiée afin d’y intégrer la téléconsultation par téléphone donnant lieu à rémunération.
Dans votre avis, vous pointez l’émergence d’acteurs commerciaux dans le domaine de la prestation médicale.
Quel doit être le rôle de l’Ordre
à leur égard ?
Dr J. L. L’Ordre, vis-à-vis des prestataires, n’a aucune compétence régulatrice ou juridique. On ne peut qu’être un veilleur et un lanceur d’alerte vers la puissance publique. Nous posons la question de la qualité du « commerce sanitaire » réalisé par ces sociétés.
Selon le Code de la santé publique, la médecine ne peut pas être exercée comme un commerce. Or, de manière indirecte, ces sociétés ne vendent-elles pas des prestations médicales ? Et, à ce titre, quelles sont les responsabilités qu’elles encourent en s’interposant dans une relation qui concerne la santé ? Quel est dans ce cadre le droit relatif à la protection du consommateur ? Nous demandons que chaque plateforme ne puisse exercer son activité que sous contrat avec l’ARS, dans les conditions actuelles du décret télémédecine, et que ce contrat porte un visa de l’avis ordinal. L’Ordre doit en effet, selon la loi, viser les contrats qui lient les médecins aux sociétés, en général. Une autre question se pose, c’est celle de la publicité indirecte faite à ces médecins, via le site internet de la société.
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