Jusqu’où ira la refonte du métier infirmier ? C’est un texte autant attendu par les un(e)s que redouté par les autres qui arrive dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Ce lundi 10 mars, les parlementaires du Palais Bourbon devaient en effet examiner une proposition de loi visant à rénover le métier d’infirmière. Un nouveau cadre qui passe par la création d’une « consultation infirmière », d’un droit de prescription et l’octroi de nouvelles missions, pour que ces paramédicales gagnent en autonomie dans leur exercice.
Sans surprise, l’objectif visé par cette loi est très bien accueilli par l’Ordre national des infirmiers (Oni). « Nous avons l’opportunité de refonder l’organisation des soins en donnant aux infirmières leur juste place, une place qu’elles ont déjà dans leur pays. Il faut reconnaître leur rôle et les compétences qu’elles mettent au service des patients », a plaidé ce lundi la présidente Sylvaine Mazière-Tauran, lors d’une conférence de presse.
Rédigée notamment avec l'ex-ministre de la Santé Frédéric Valletoux (Horizons) et amendée en commission des affaires sociales la semaine dernière, la proposition de loi liste des « missions socles » : la réalisation de soins infirmiers « curatifs, palliatifs, relationnels et destinés à la surveillance clinique », le suivi du parcours de santé des patients et leur « orientation », « la prévention », incluant dépistage et éducation thérapeutique, « la participation à la formation » des pairs ou encore la recherche.
L’accès direct aux infirmières bientôt expérimenté ?
Mais l’idée d’une consultation infirmière, qualifiée comme telle, n’est pas du goût des syndicats de médecins libéraux. « Certes, les infirmières ont une expertise de par leur formation, mais il faut savoir de qui on parle précisément. S’agit-il des IPA (infirmières en pratique avancée, ndlr) qui ont un niveau bac +5 ? En revanche, s’il n’y a pas de médecin et qu’il est question de le remplacer par une infirmière quelle qu’elle soit, très clairement, ce sera une perte de chance pour le patient », recadre le Dr Luc Duquesnel, président des Généralistes-CSMF, joint ce lundi par Le Quotidien.
Problème, justement, un amendement défendu par la députée du Loiret Stéphanie Rist a introduit dans le texte une expérimentation, pendant trois ans et dans cinq départements, de l’accès direct aux infirmières – au sens large du terme, pas seulement les IPA – sans prescription médicale, dès lors qu’elles exercent dans un établissement de santé ou une structure de soins coordonnés comme les maisons de santé ou centres de santé. « Il ne faudrait pas que ces consultations infirmières deviennent un prétexte pour que les patients ne voient plus leur médecin traitant car cela créerait une médecine à deux vitesses », craint la Dr Sophie Bauer, présidente du SML.
« Il faut arrêter de mettre en dualité les choses. Nous n’empiétons pas sur les prérogatives des médecins, rétorque la présidente de l’Ordre national des infirmiers. Cela fait déjà deux ans que nous attendons les décrets prévus dans la loi Rist 2023 pour que les infirmières puissent faire des pansements de plaie, sans prescription médicamenteuse ».
Chacun pousse ses pions. De son côté, le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (Sniil) vit comme une « humiliation » l’expérimentation de l’accès direct, celle-ci « remettant ainsi en question des compétences déjà reconnues et exercées au quotidien au service des patients ». Autrement dit, le Sniil appelle à dépasser l’étape de l’expérimentation et rappelle que les infirmiers « disposent d’une expertise avérée et d’une formation qui leur permettent d’assurer pleinement leur rôle propre, sans qu’il soit besoin de le “tester” dans un cadre expérimental inadapté ».
Vers un diagnostic infirmier
Mis à part l’accès direct, la PPL instaure aussi la notion de diagnostic infirmier, offrant aux paramédicaux plus d’autonomie dans le champ de leurs prescriptions. La liste des produits de santé et examens complémentaires concernés devra être précisée par arrêté. Une ouverture saluée par Sylvaine Mazière-Tauran qui souligne que « tout cela s’inscrit dans un exercice coordonné » et que « les infirmiers n’agissent de pas de manière isolée ». La présidente de l’Ordre infirmier attend néanmoins des parlementaires « qu’ils inscrivent dans la loi que cela ne constitue pas un exercice illégal de la médecine ».
Si le Dr Duquesnel ne ferme pas la porte à l’accès direct aux infirmiers, il est davantage réservé sur la notion de diagnostic propre et de prescription. « Le diagnostic et le traitement relèvent du médecin », tranche le président des Généralistes-CSMF. Même avis pour la Dr Bauer (SML) : « la primo-prescription médicamenteuse doit rester du ressort médical. Je peux comprendre pour les pansements pour les plaies, et encore. Quand on sait que certaines plaies peuvent être des cancers, je doute qu’on puisse faire l’économie d’une expertise médicale », argumente la chirurgienne.
Extension de la pratique avancée
La proposition de loi ouvre enfin la voie à un élargissement de la pratique avancée aux infirmières spécialisées en anesthésie (IADE), en bloc opératoire (Ibode) et puériculture (IPDE). Là aussi, l’idée divise, même au sein de la commission des Affaires sociales. « Les infirmières aspirent à ce que l’on reconnaisse une forme de pratique avancée dans leurs actes et à ce que l’on fasse évoluer leur profession en ce sens, a souligné la rapporteure Nicole Dubré-Chirat lors des débats mercredi 5 mars. S’il faut entendre et accompagner cette aspiration, nous devrons veiller à ne pas fragiliser le statut des IPA (…) Je pense que le modèle de l’IPA, qui correspond en partie au modèle européen, répond à un vrai besoin. Nos efforts et notre investissement doivent porter sur le développement de cette profession, sans exclure de faire évoluer les missions des infirmières spécialisées, en différenciant les types de pratique avancée. »
L’élu centriste Cyrille Isaac-Sibille appelle quant à lui à la vigilance : « Il ne faut pas confondre autonomie et indépendance ! L’autonomie permet de prendre des décisions seul, mais n’exclut ni la supervision, ni le travail en équipe. L’indépendance peut, au contraire, désigner l’absence de tout lien avec autrui. Ce n’est pas ce que nous recherchons. »
De l’avis de la présidente de l’Ordre infirmier, l’article 2 du texte qui élargit la pratique avancée aux infirmiers spécialisés pose un cadre, qu’il conviendra d’enrichir. « On ne fera pas l’économie d’un travail plus précis dans la définition de cette pratique avancée. Cela doit probablement se faire par le biais d’un arrêté ou d’un décret pour préciser dans quelles modalités cette reconnaissance doit se concrétiser », préconise Sylvaine Mazière-Tauran.
La proposition de loi visant à rénover le métier infirmier devait être examinée en première lecture jusqu’à minuit ce lundi. Si les députés adoptent le texte en première lecture, il devra ensuite être examiné par le Sénat qui pourra, à son tour, amender le contenu du texte. Nul doute que l’équilibre final sera scruté à la fois par les infirmiers et les médecins…
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