Une meilleure santé, au meilleur coût, grâce à une meilleure prise en charge : c’est ce triple objectif qui fonde la démarche de responsabilité populationnelle poussée en France par la Fédération hospitalière de France (FHF) depuis 2017, et même inscrite dans la loi de santé de 2019. À la clé : une approche radicalement différente du système de santé, conçu non plus comme un modèle curatif basé sur la prise en charge des malades mais qui vise plutôt le maintien en bonne santé dans chaque territoire identifié.
Avec 62 % des 158 milliards d’euros dépensés par l’Assurance-maladie – et 25 millions de personnes concernées –, le champ immense des pathologies chroniques est le terrain de jeu idéal pour faire la preuve de l’efficacité de la démarche populationnelle. Deux pathologies « impactantes », le diabète de type 2 – pour lequel près d’un patient sur deux a connu au moins une hospitalisation en 2022, soit 2,2 millions de séjours – et l’insuffisance cardiaque – près de 700 000 patients hospitalisés –, ont concentré les attentions des pionniers, en raison des marges de progrès identifiées. « Par exemple, plus de 13 000 patients atteints de diabète ont été amputés en 2023 contre 11 000 en 2019. Cela augmente chaque année, les résultats de santé ne sont pas à la hauteur », explique Antoine Malone, responsable de ce programme de responsabilité populationnelle à la FHF.
Usagers partenaires et citoyens ambassadeurs
Mais comment procéder en pratique ? En France, cette approche populationnelle s’est construite sur l’intégration clinique et la gestion territoriale de la santé d’une population, en mobilisant tous les acteurs d’un secteur (qui va de l’échelle du groupement hospitalier de territoire – GHT – au département). « Cela ne peut pas être la région, c’est trop grand », cadre Antoine Malone.

Le diabète de type 2 a ainsi été « ciblé » dans le cadre d’une expérimentation innovante (dite article 51) de responsabilité populationnelle sur cinq territoires pilotes (Aube, Deux-Sèvres, Douaisis, Haute-Saône, Cornouaille) qui équivalent à la taille d’un GHT. L’objectif est toujours d’élaborer des programmes d’action et des parcours de santé adaptés aux profils cliniques, allant de la prévention primaire à la prise en charge des patients complexes, en associant plusieurs centaines de libéraux et hospitaliers, acteurs associatifs ou élus.
La démarche de responsabilité populationnelle – la « RP » dans le jargon des premiers convaincus – est montée en puissance depuis cinq ans. En 2024, plus de 860 professionnels de santé participaient aux premiers programmes pionniers, auxquels s’ajoutent 79 « usagers partenaires » et même des « citoyens ambassadeurs », par exemple pour toucher le public des cités. Un réseau de plusieurs dizaines de partenaires locaux (associations, collectivités, Ehpad, médecine du travail, médecine scolaire) a permis près d’un millier d’actions de prévention primaire et d’aller vers les publics les plus fragiles. « Sur la seule Journée mondiale du diabète, 400 dépistages ont été réalisés », se félicite le responsable de la FHF. Plus de 20 000 personnes ont été sensibilisées aux risques du diabète de type 2, 16 500 patients à risque dépistés et 6 000 patients inclus et suivis dans des parcours ville-hôpital adaptés à leur profil. « C’est significatif », se réjouit Antoine Malone.
Associations, collectivités, Ehpad : un large réseau de partenaires locaux a permis d’aller vers les publics les plus fragiles
Surtout, les premiers résultats sont prometteurs (et mesurables) sur l’offre de soins hospitaliers, ce qui devrait faire des émules. Dans ces cinq territoires pilotes, la part des séjours pour diabète de type 2 entrant par les urgences a diminué d’un tiers. La proportion de longs séjours a diminué de moitié, avec un coût moyen moindre. Inversement, la proportion d’ambulatoire a bondi. De 37 % en 2019, elle est passée à 55 % en 2022 puis à 58 % en 2024. Depuis, cinq autres secteurs ont intégré le programme (Sud Lorraine, Franche-Comté, Alpes du Sud depuis juillet 2023, Alpes-Maritimes en septembre 2024 puis Yvelines Nord en janvier 2025).
Un portrait de territoire, avec ses forces et faiblesses
Le Dr David Laplanche, chef du pôle Performance et Santé publique aux hôpitaux Champagne Sud et pionnier du programme, raconte le chemin parcouru ces dernières années pour valider la pertinence du modèle. À partir des retours de l’étranger, notamment du Québec, son équipe s’est lancée dans la « RP » pour le diabète dans l’Aube à partir de 2021. Deux guides méthodologiques ont été publiés – l’un sur les réunions cliniques, l’autre sur le lancement de la démarche. « Nos réunions cliniques [qui peuvent rassembler une trentaine de personnes] sont le moment fondateur où nous regroupons tous les acteurs qui gravitent autour de la pathologie. Ensuite nous réalisons un “portrait de territoire” avec ses forces et faiblesses », détaille le Dr Laplanche.
Ces rencontres cliniques ont souvent lieu en soirée pour accueillir les libéraux, qui ont besoin d’être rassurés, par exemple « sur le fait que cela ne leur apportera pas une charge administrative supplémentaire », et qu’ils conserveront leur rôle de coordonnateur du parcours, analyse Sylia Mokrani, directrice adjointe du CHU de Nancy, dont le territoire Sud Lorraine est aussi entré dans le modèle en juillet 2023.
Les libéraux ont besoin d’être rassurés sur le fait que cela ne leur apportera pas une charge administrative supplémentaire
Sylia Mokrani, directrice adjointe du CHU de Nancy
De l’avis général des pionniers, le partage des données est primordial, notamment pour le repérage des patients à risque et l’inscription dans les parcours adaptés. « On ne doit laisser personne au bord de la route », résume Antoine Malone. Dans l’Aube, un parcours numérique a été déployé. Y figurent l’inclusion du patient diabétique, sa « strate » (son degré de risque ou de gravité de l’état de santé), son parcours type – modifiable à la carte –, puis son cercle idéal de soin et enfin les logigrammes de prise en charge (par exemple, à quelle fréquence le patient diabétique doit aller voir son ophtalmologue). Des alertes permettent ensuite de signaler les éventuelles difficultés sur le parcours de soins choisi.

Les délégations de tâches, incontournables
La démarche s’appuie toujours sur les recommandations des sociétés savantes et mise systématiquement sur les délégations de tâches (infirmières Asalée spécialistes de l’éducation thérapeutique, infirmières en pratique avancée, assistants médicaux). Les diabétologues libéraux sont-ils convaincus ? « Oui, ils ont bien compris qu’ils ne pouvaient pas voir tous les diabétiques du département », explique le Dr David Laplanche.
Même adhésion de principe aux délégations de tâches dans l’insuffisance cardiaque, comme l’explique la Dr Emmanuelle Sarlon, médecin de santé publique et présidente de la CME à l’hôpital de Gap-Sisteron pour le territoire des Alpes du sud. Les cardiologues libéraux ont été embarqués avec succès dans la démarche. « Ils ont bénéficié d’une structure hospitalière pour le diagnostic par échographie, ce qui les a libérés de cette charge », analyse-t-elle.
Payer ceux qui font le lien !
À en croire ceux qui la testent, l’approche populationnelle nécessite assez peu de moyens supplémentaires, sauf pour la coordination, ce qui n’est pas rien. Les pionniers ont parfois pu bénéficier de « crédits d’amorçage » à hauteur de 100 000 euros dans le cadre de l’article 51 sur les organisations innovantes. Cela a permis de recruter des chargés de mission, souvent des infirmières. En Sud Lorraine, faute de financement, un praticien hospitalier et une directrice assument, en plus du pilotage stratégique, ce rôle de coordination. « Il faut payer les personnes qui fabriquent du liant entre les acteurs. Nous devons donc continuer à convaincre les financeurs », reconnaît le Dr Philip Böhme, diabétologue au CHU de Nancy.
Le GHT Yvelines Nord vient de se lancer dans le programme sur le diabète de type 2 et se débrouille sans crédits supplémentaires. Les animateurs des réunions sont des généralistes bénévoles, nommés par les six communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Le projet se structure. « L’enjeu était d’embarquer des CPTS mais aussi l’ensemble des acteurs de ville, coordonnateurs des contrats locaux de santé, médecine du travail, centres de prévention et Association française des diabétiques », explique Cécile Thollot, secrétaire générale du GHT. Ce territoire a déjà « stratifié » sa population et commencera à inclure ses premiers patients en septembre 2025. Petit à petit, la responsabilité populationnelle fait son nid.
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