La médecine, activité de service, encore récemment ne bénéficiait pas d'économies d'échelle, facteur clé de la croissance. L'intelligence artificielle bouleverse cet état des lieux. Faut-il en avoir peur ou se réjouir ?
La santé est un univers que je cite souvent. Outre des références familiales, c'est une parfaite illustration de la société post-industrielle que l'on peut définir rapidement comme une société tertiarisée, de services. Les deux figures les plus emblématiques sont le médecin et l'enseignant. La promesse de ce nouveau monde qu'appelait de ses vœux Jean Fourastié (à qui l’on doit la formule « les trente glorieuses) était une société humanisée. Pour autant, ce modèle se heurte à la difficulté de générer des gains de productivité, tout simplement parce qu'elles se construisent dans une relation de face-à-face. Si la valeur du bien est le temps que je passe avec une personne, il ne peut y avoir d'économie d'échelle possible. Dans un de mes précédents ouvrages, Trois essais sur la société post-industrielle, je présentais la santé comme un des exemples de ce monde. On peut distinguer trois étapes dans la production d'un bien, à savoir la conception, la production et la prescription. Déclinée au secteur de la santé, la conception est celle du médicament. Là, le rendement d'échelle ne cesse de croître avec l'élargissement du marché. Le moment de la fabrication était hier très important. Aujourd'hui, il a perdu de sa valeur. Dans le monde ancien, le temps de la prescription était majeur. Le face-à-face catalysait les découvertes scientifiques. À l’époque, j'imaginais que le monde numérique, immatériel tendait vers la gratuité. Mon nouveau livre corrige ce diagnostic. En fait, l’univers numérique n’a cessé de gagner de la place dans la chaîne de valeur et explique la valeur phénoménale des Gafa. Ce qui en revanche s'est dévalorisé et que je croyais porteur, c'est bien le face-à-face et les emplois de service. Le numérique qui semblait condamné à la gratuité a capté en fait toute la valeur.
Vous réduisez le médecin au temps de la prescription. Mais c'est désormais celui du diagnostic qui fait l'objet d'économies d'échelle.
Deux évolutions sont possibles. Dans la première, les hommes et les femmes sont guidés par des applications qui capte la valeur. Dans le secteur de la médecine, on comprend ce que ça veut dire : l'automédication pour contourner le face-à-face.
Seconde hypothèse, et je rassure vos lecteurs, elle me paraît plus vraisemblable pour le secteur de la santé, des complémentarités vont se nouer entre les soignants et les nouvelles technologies. Les professions médicales vont recourir à ces technologies non pas pour se faire remplacer, mais utiliser les économies d'échelle possibles afin de maintenir leur position. Simplement, les médecins devront être proactifs afin de se saisir de ces nouvelles technologies. Et de ne pas abandonner ce savoir-faire à un développeur d'une application dans la silicon valley. Cela serait alors une tragédie si les patients, ce seraient les plus pauvres surtout, prenaient l'habitude de ne plus aller chez le médecin.
En ce qui concerne la politique de santé, en dépit des belles promesses, au moment du choix, c'est toujours Bercy qui emporte la décision.
La santé est dans un paradoxe absolu. C'est le grand bien de la société post-industrielle alors que sont exigées en permanence des économies. Aux États-Unis, le système de santé est plus innovant mais beaucoup plus inégalitaire. Faut-il choisir entre l'innovation et la qualité pour tous ? En attendant de répondre à la question, la santé ne devrait pas échapper à la politique du rabot exercée par Bercy.
Emmanuel Macron avait pourtant annoncé la fin de cette pratique de bricolage.
J'espère me tromper. C'était le point obscur du programme du candidat Macron. Les dépenses publiques allaient être réduites à 52 % du PIB sans recourir au rabot. Plutôt que de faire des choix clairs, voire brutaux, tout le monde est mis à contribution. Il n'y a pas de grand plan. On a de nouveau recours au saupoudrage. Le gouvernement est pris dans l'urgence de réduire les déficits. L'une des ouvertures possibles serait de procéder à des expérimentations en région. Imaginons que l'on mette sur la table 30 millions d’euros pour l'intelligence artificielle en santé…
Comment comprendre le recours chez Emmanuel Macron aux vieilles méthodes ?
Le Président n'a pas les moyens de son programme fiscal. On nous avait annoncé un programme de réduction de charges très ambitieux, à la manière de Nicolas Sarkozy. En même temps, le gouvernement est tenu par des contraintes budgétaires à respecter afin de restaurer la crédibilité de la France. Et ne dispose plus des moyens nécessaires pour impulser une politique nouvelle. La faute peut-être à n'avoir pas conçu avant l'élection un véritable programme de baisse de dépenses. Cela se paye très cher aujourd'hui.
Est-ce la faute à Maastricht et à la règle du déficit des 3 % ?
Peut-être, mais surtout il n’est pas de bonne politique de réduire les impôts avant la mise en place d'un programme cohérent de dépenses publiques, en pariant sur la croissance pour vous sauver. Depuis Ronald Reagan, c'est la même politique. On baisse d'abord les impôts et on voit ensuite. Et, résultat, pour préparer l'avenir, la France dépense pour son enseignement supérieur 13 milliards d'euros par an.
Faut-il parler d'une impuissance du politique ?
Sur les sujets évoqués, l'équilibre entre les impôts et dépenses, on ne peut incriminer l'Europe ou la mondialisation. Le gouvernement est comptable de ses actes.
* Il faut dire que les temps changent, Chronique (fiévreuse) d'une mutation qui inquiète, Daniel Cohen, éd. Albin Michel, 230 pages, 19 euros.
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