Hasard du calendrier ou volonté de la Cour des comptes de pousser l’État à « un changement d’échelle » dans le pilotage des dépenses maladie ? À la veille de la conférence sur les finances publiques convoquée ce mardi par François Bayrou, les sages de la rue de Cambon ont dévoilé, ce lundi 14 avril, 15 mesures d’économies qui pourraient permettre de dégager « entre 19,4 milliards et 21,4 milliards d’euros d’ici à 2029 ». Une stratégie seule à même de respecter la trajectoire de l’Ondam (objectif national de dépenses maladie fixé à 2,9 % par an dans les prochaines années), plaide la Cour des comptes.
Face à la croissance dynamique des dépenses de santé (+ 4,8 % par an depuis 2019, hors Covid) – pour une enveloppe globale de 265,4 milliards d’euros en 2025 – et face aux besoins nouveaux inévitables (+3 milliards/an), la Cour juge urgent de définir « un programme pluriannuel de maîtrise » en actionnant tous les leviers. « Ce n’est pas un plan d’austérité, a assuré Pierre Moscovici, premier président de la Cour des comptes. L’objectif n’est pas de baisser le taux de l’Ondam mais de mieux maîtriser sa progression. Il y a un chemin pour trouver des économies sans dégrader la Sécurité sociale. »
Mieux lutter contre les fraudes
Le premier axe n’est pas une surprise. Même si les résultats de la lutte contre les fraudes sont en net progrès (628 millions d’euros détectés et stoppés en 2024), la Cour considère qu’il est possible de faire beaucoup mieux et surtout beaucoup plus (avec 4,5 milliards d’euros de fraudes estimées). Pour changer d’échelle, elle suggère de mettre en recouvrement les indus frauduleux sur toutes les périodes non prescrites et de bloquer le règlement des facturations irrégulières des praticiens et hôpitaux, autrement dit « suspendre les paiements en cas de doute ». Ces actions nécessitent de mobiliser davantage de moyens humains et informatiques pour les caisses d'assurance-maladie. Il existe aussi une disparité de l’utilisation des outils de contrôle entre territoires, note-t-elle. Quant à la lutte contre les fraudes de la branche autonomie, elle « reste limitée ».
Pertinence : réduire les pratiques hétérogènes
Autre levier : l’amélioration de la pertinence des pratiques médicales et des soins, en s’appuyant sur les recommandations de la HAS et les référentiels de prescription.
La Cour pointe une « hétérogénéité » des interventions hospitalières concernant plusieurs chirurgies (cataracte, tumeur bénigne de la prostate, canal carpien, etc.) entre établissements et départements. Les hospitalisations évitables ont pu être estimées à 2,5 % des séjours de médecine en 2017 concernant l’insuffisance cardiaque, illustre-t-elle aussi. « L’analyse systématique des pratiques et des dépenses de santé doit permettre d’identifier les atypies et de les éviter », insiste la Cour. Elle s’appuie en particulier sur une carte montrant qu’à partir des dépenses de santé dites standardisées (dépense moyenne à l’hôpital et en ville, par personne et par département, selon l’âge et le sexe, rapportée à la dépense attendue), il existe un écart de dépenses de 1 804 euros en Haute-Savoie à 3 055 euros en Haute-Corse. ARS et caisses primaires sont invitées à se mobiliser pour réduire ces écarts territoriaux.
Parmi les économies liées à des prescriptions inappropriées, la Cour mentionne 38 millions d’euros pour des dosages injustifiés de vitamine D ou 300 millions d’euros pour des IPP mal prescrits. Elle cite aussi les arrêts maladie « largement au-delà des durées recommandées » ou les abus en matière de transports sanitaires (un poste dynamique à 6 milliards d’euros). La Cour relève aussi que « les dépenses de santé par habitant et le nombre de consultations augmentent avec la densité des médecins ». Une corrélation qui interroge sur la pertinence des actes.
Les dépenses liées aux ALD sont également ciblées. Avec 125 milliards d’euros, elles représentent plus des deux tiers des dépenses remboursées. Plusieurs pistes sont suggérées : suivi renforcé des prescriptions atypiques, actualisation de la liste des ALD, remboursement des indus en cas de non-respect du bi-zone par les médecins. Au-delà, des « actions ciblées et volontaristes » de prévention et de dépistage sont à renforcer pour atténuer le poids ALD.
Limiter l’ampleur… des revalorisations salariales
Même si cette mesure n’est pas mise en avant par la Cour, c’est une piste qui risque de ne pas plaire aux libéraux, ni aux médecins hospitaliers : dans une logique de responsabilisation, la note de synthèse préconise de « réduire l’ampleur habituelle » des mesures nouvelles actées dans les lois de financement de la Sécu. En clair, il faut mettre un coup de frein sur les revalorisations en ville (honoraires) comme à l’hôpital (mesures salariales).
La convention signée avec les praticiens libéraux en juin 2024 a représenté un montant de 1,6 milliard d’euros, soit « plus du double de la précédente convention », observe la Cour. « En prenant en compte le coût important de ces accords signés en 2024, il paraît envisageable de resserrer l’ampleur des mesures nouvelles dans les prochaines années autour de priorités à définir lors du vote des lois de financement de la Sécurité sociale », écrit la rue Cambon. D’après son calcul, « un total de trois à quatre milliards d’euros de moindres dépenses supplémentaires d’ici 2029 pourrait être dégagé ». Pour les libéraux, l’idée serait « au minimum » de conditionner l’application des nouvelles revalorisations par la « réalisation effective des économies envisagées pour les gager », lit-on. « Aujourd’hui la plupart des conventions ne sont pas suivies pour vérifier les efforts en termes de pratiques médicales », avance Pierre Moscovici.
Les hôpitaux priés de se restructurer
Les déclarations d’évènements indésirables graves associés aux soins synthétisées par la HAS sont en hausse, soit 4 574 déclarations en 2024 (+ 13 % sur un an). « Ils génèrent des surcoûts comme les désordres physiologiques ou les septicémies. Les réponses à cet enjeu d’amélioration de la qualité des soins sont à envisager dans le cadre des autorisations de soins et des projets régionaux de santé », insiste la Cour.
Selon la note de synthèse, l’activité des services de médecine et de chirurgie de nombreux petits hôpitaux publics reste « faible », fragilisant la sécurité des soins. De surcroît, faute de personnel soignant, certains établissements doivent recourir à des emplois temporaires coûteux, ajoute la Cour, qui pousse à une réorganisation territoriale des parcours de soins et des regroupements au sein des GHT. Selon le rapport, une vingtaine de maternités dérogent au seuil réglementaire de 300 accouchements annuels fixé par les décrets périnatalité de 1998.
Autre piste : une optimisation de la gestion des achats des hôpitaux (350 millions d'euros) et un meilleur encadrement des dépenses d’intérim médical et paramédical qui ont doublé depuis 2020 (600 millions en 2023).
Le retour du bouclier sanitaire ?
La Cour juge que les patients pourraient être, eux aussi, mis à contribution « sur des actes ou produits de santé dont les effets ont une efficacité limitée, comme les médicaments à service médical faible ». La juridiction propose d’encadrer la délivrance des antalgiques de palier 1 (hors enfants et ALD), de réexaminer la liste des médicaments remboursés à 15 % et d’augmenter le ticket modérateur sur les remboursements de soins de cure thermale.
Au-delà de mesures ponctuelles de déremboursement, les sages recommandent de repenser le champ des soins remboursés par la Sécu en fonction « du niveau de revenus » des assurés, comme en Allemagne. La piste du « bouclier sanitaire » – sur le principe d’un plafonnement du reste à charge des dépenses de santé en fonction des revenus – est mentionnée. Elle avait fait l’objet d’une proposition de loi de six députés Renaissance, Horizons et Liot déposée en mai 2024.
La prévention en santé, priorité nationale
Enfin, pour la Cour, la prévention devrait être un levier systématique d’efficience des dépenses de santé. Las, dans ce domaine, la Cour constate des « résultats médiocres » dans la prévention des trois principales pathologies en expansion : les cancers, les maladies neuro-cardio-vasculaires et le diabète, affectant 12,8 millions de patients et représentant un total de dépenses de 54,5 milliards d’euros en 2022.
La Cour pointe l’enjeu de refonder la politique de prévention, en revoyant le contenu des plans de prévention et leur déclinaison territoriale, en luttant contre les facteurs de risque (tabac, alcool, obésité) et en systématisant les approches de prévention dans les pratiques professionnelles.
À la mémoire de notre consœur et amie
Dérives sectaires : une hausse préoccupante dans le secteur de la santé
Protection de l’enfance : Catherine Vautrin affiche ses ambitions pour une « nouvelle impulsion »
Dr Joëlle Belaïsch-Allart : « S’il faut respecter le non-désir d’enfant, le renoncement à la parentalité doit interpeller »