Depuis début 2020, l’émergence d’un coronavirus en Asie a bouleversé l’ordre sanitaire mondial. En France, après des semaines et des mois d’incertitude, le premier confinement du mois de mars de la même année a entériné le fait qu’il y aurait un avant et un après-Covid-19. C’est ce qui ressort du livre-enquête, publié le 2 février dernier, Le Ministère des bras cassés… et du Covid-19. Il raconte les coulisses de la difficile gestion de crise de l’exécutif. Fluide, exclusif et parfois croustillant, le récit se dévore. Le journaliste Marc Payet, spécialiste des questions de santé publique ayant fait carrière au Parisien, livre une investigation au plus proche du pouvoir, des cabinets ministériels aux médecins en passant par les directeurs d’agences régionales de santé (ARS) pendant le plus dur de la crise. Ce qui est frappant, c’est le nombre de témoignages pour lesquels les personnes interrogées acceptent d’être identifiées. Le journaliste s’appuie également sur les conclusions des rapports du Pr Didier Pittet et du général Richard Lizurey, qui font autorité aujourd’hui, pour étayer son propos.
Au-delà de la crise liée à l’épidémie de Covid-19, c’est le dysfonctionnement même du système de soins français qui est pointé du doigt par l’auteur, comme lui confie Charles Hufnagel, conseiller en communication d’Édouard Philippe à Matignon. « Le sujet principal, ce n’est pas l’administration de la santé en soi. C’est le sous-investissement dans la politique de santé depuis vingt à trente ans. Notre système de soins est devenu fragile. La médecine libérale a été démolie. Les 35 heures à l’hôpital étaient une aberration. Résultat : les gens sont souvent épuisés, et cela ne tient que grâce aux compétences de chacun. »
Dysfonctionnements en série et « guéguerre » d’ego
Au royaume d’Ubu, tout est vite absurde. Lorsque l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a recommandé le port du masque et qu’il fallait à tout prix en trouver de manière à protéger les médecins, puis la population, Santé publique France (SPF) était incapable de fournir un état précis de son stock, l’évaluant à des centaines de millions près en fonction des semaines. Et quand le gouvernement lui a demandé de commencer à en fabriquer, SPF a indiqué qu’il fallait « faire valider cette étape par son conseil d’administration »…
De nombreux autres balbutiements ont eu lieu, dans la chaîne de commande notamment. Aurélien Rousseau, alors directeur général de l’ARS d’Île-de-France, raconte à Marc Payet qu’il a fallu prendre des décisions de gestion et que, « dans l’appareil d’État », on se disait que « ça ne peut pas être que la DGS qui prenne les décisions, car ce n’est pas l’administration la plus forte et structurée du pays ». De fait, le journaliste santé affirme que « l’exécutif a été au bord de la rupture pendant la crise du Covid ». Listant les dysfonctionnements de la communication entre les services du ministère, les problèmes de bande passante rendant les réunions en zoom ou en visioconférence quasi impossible… Plusieurs « bugs » sont d’ailleurs mentionnés, notamment dans la région Grand Est, dont Christophe Lannelongue présidait l’ARS avant d’être limogé.
Au ministère, raconte Marc Payet, deux visages représentaient la santé pendant la crise : celui du Pr Jérôme Salomon, directeur général de la Santé, et celui d’Olivier Véran, ministre de la Santé. Ces deux hommes, qui conseillaient Emmanuel Macron sur les questions de santé lors de la campagne pour l’élection présidentielle 2017, ne s’apprécient pas. Leur « guéguerre » réside principalement dans la volonté d’être le ministre de la Santé du candidat En Marche à l’époque. Le principal intéressé tranchera en faveur d’Agnès Buzyn… remplacée par Olivier Véran en février 2020 dans des circonstances… embarrassantes pour l’exécutif. Mais, pendant la pandémie, le Pr Salomon a copiloté la cellule de crise interministérielle, rendant compte de l’évolution de l’épidémie directement au président de la République, agissant, de fait, comme s’il était le ministre. Olivier Véran est irrité d’être relégué au second rôle. Cela s’est depuis équilibré, le Pr Salomon a été appelé à rester en coulisse et le rassurant Véran à monter au front.
Le récit de Marc Payet raconte également les secrets de la création du Conseil scientifique, le 11 mars 2020. « Il faut arrimer les décisions sur la science. Je dois les prendre dans un contexte d’incertitudes », justifie le président, dont les propos sont rapportés par sa conseillère santé, Anne-Marie Armanteras. Mais, précise-t-elle à l’auteur, « entre le président et Jean-François Delfraissy, c’est entier et direct. Le Conseil scientifique éclaire, mais le pouvoir décide. » Et, en effet, le 29 janvier 2021, quand le président a annoncé ne pas reconfiner le pays, cette décision était la sienne. Le Conseil scientifique et le ministère de la Santé n’étaient pas du même avis. Emmanuel Macron a assumé sa décision et s’en est, depuis, félicité.
Le Ministère des bras cassés… et du Covid-19, Marc Payet, Albin Michel, février 2022, 18,90 euros
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