L’analgésie multimodale est un concept établi, selon lequel l’association de plusieurs agents ou techniques analgésiques augmente leur efficacité, et permet de diminuer leurs effets indésirables. Auparavant, les stratégies analgésiques pour les chirurgies majeures reposaient principalement sur l’utilisation d’opioïdes efficaces, mais pouvant provoquer des effets secondaires graves retardant la guérison. Aujourd’hui, les protocoles de récupération améliorée intègrent des stratégies analgésiques multimodales, qui minimisent l’utilisation d’opioïdes et optimisent l’analgésie (1).
Limiter l’utilisation des morphiniques
Cette évolution des pratiques a été montrée dans l’étude AlgoSFAR (2), publiée en 2021. Au total, 3 315 patients ont été inclus (dans 70 centres). Parmi eux, 81 % étaient peu douloureux en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) et 6 % présentaient des douleurs sévères. Seulement 23 % des patients ont reçu des opiacés en peropératoire ou en SSPI (médiane de 6 mg d’équivalent morphiniques oraux). En combinant les données peropératoires et de SSPI, 67 % et 49 % des patients ont reçu, respectivement, au moins deux ou trois antalgiques non opiacés. Parmi les patients non traités par opiacés rachidiens ou périduraux, 32 % ont reçu de la morphine en postopératoire. La dose médiane de morphine administrée était de 10 mg, de la période peropératoire jusqu’à la sortie. « En conclusion, cette étude montrait que l’analgésie multimodale était largement utilisée et efficace, puisque les patients présentaient moins de douleurs en consommant moins d’opiacés », a commenté la Dr Anissa Belbachir (CHU Cochin, Paris).
Après une chirurgie majeure, différentes classes d’analgésiques non morphiniques sont souvent utilisées, en association à la morphine. De plus, l’anesthésie locorégionale et les infiltrations limitent le recours aux opiacés, optimisent la gestion de la douleur et améliorent le processus de guérison.
Réduire les effets secondaires et favoriser la récupération
« Le premier objectif de l’analgésie multimodale est de réduire les doses de morphine, et par conséquent ses effets indésirables », a ajouté la Dr Belbachir. Une étude, réalisée chez des patients ayant eu une arthroplastie totale de la hanche ou du genou, a significativement mis en évidence une diminution des effets secondaires avec l’analgésie multimodale, par rapport à l’utilisation d’opioïdes seuls (3). Au total, 85,6 % des patients avaient reçu une analgésie multimodale (plus de deux modalités). Par rapport à l’utilisation d’opioïdes seuls, il a été observé une diminution de 19 % des complications respiratoires et de 25 % des troubles digestifs. La consommation de morphine a été réduite de 18 % et la durée de séjour de 12 %.
D’après l’étude du Dr Murphy et al. (4) menée chez des patients ayant une cholécystectomie laparoscopique, la Société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR) a recommandé d’administrer la dexaméthasone intraveineuse à la dose de 8 mg pour diminuer la douleur postopératoire, réduire les effets secondaires (nausées, vomissements, fatigue…) et la durée de séjour en SSPI.
« L’analgésie multimodale est un élément essentiel de l’amélioration de la récupération postopératoire, et intègre la notion de récupération fonctionnelle, a souligné la Dr Belbachir. Cela constitue le deuxième objectif de l’analgésie multimodale, avec un changement de paradigme : l’analgésie au mouvement actif est dorénavant recherchée ».
De la kétamine contre l’hyperalgésie
La kétamine est l’agent anti-hyperalgique recommandé en première intention à la dose maximale de 0,5 mg/kg après l’induction anesthésique (pour éviter les effets psychodysleptiques). Son utilisation à faible dose en peropératoire permet de réduire l’intensité de la douleur aiguë pendant 24 heures, ainsi que le risque de nausées et vomissements. Mais la prolongation de son administration en postopératoire accroît le risque d’hallucinations, et ne majore pas beaucoup l’effet analgésique. Elle réduirait de 30 % l’incidence de la douleur chronique à trois mois après la chirurgie.
Des facteurs prédictifs ?
Malgré le développement de l’analgésie multimodale, les opioïdes sont toujours nécessaires pour un soulagement efficace, notamment après une arthroplastie du genou. Afin d’améliorer la prise en charge, l’objectif est de rechercher les facteurs prédictifs de douleur postopératoire. En effet, la vulnérabilité à la douleur postopératoire est affectée par différents facteurs, notamment l’expérience de la douleur et la génétique. L’étude de la Dr Thomazeau et al. (5) a montré que la dose moyenne de morphine postopératoire sur cinq jours est faible, très variable et inversement proportionnelle à l’âge. Mais en préopératoire, des signes permettraient de prédire l’intensité de la douleur postopératoire. Il s’agit de la douleur au repos, du niveau d’anxiété et des symptômes de douleur neuropathique en préopératoire. Quant à la consommation de morphine après la chirurgie, elle est augmentée chez les patients sans activité et recevant des opioïdes au long cours en préopératoire. Pour rechercher une anxiété et le besoin d’information du patient sur l'opération, il est recommandé d’utiliser en préopératoire l’échelle Amsterdam Preoperative Anxiety and Information Scale (APAIS). Le recours à l’échelle DN4 est préconisé pour identifier une douleur neuropathique.
Enfin, selon l’étude du Pr Fletcher (6), les facteurs de risque de douleur chronique postopératoire seraient la douleur préopératoire chronique, la chirurgie orthopédique et le pourcentage de temps passé en douleur intense à J1 (une augmentation de 10 % de ce temps étant associée à une hausse de 30 % de la douleur chronique à douze mois).
(1) Dunkman J et al. Surg Clin North Am 2018. ; 98(6) :1171-84
(2) Roussel P et al. Anesthésie & Réanimation ; vol 7 2021 : 376-386
(3) Merntsoudis S et al. Anesthesiology 2018 ; 128 :891-902
(4) Murphy G et al. Anesthesiology 2011 ; 114 : 882-90
(5) Thomazeau J et al. Eur J. Pain 2015 : 822-32
(6) Fletcher D et al. J Anesthesiol 2015 ;32 : 725-34
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