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Dossier

Asco 2020

L’oncologie « haute couture »

Publié le 19/06/2020
L’oncologie « haute couture »

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SPL/PHANIE

Le congrès de l’Asco s’est fait virtuel cette année, sans pour autant céder sur son haut niveau d’exigence. Pas de nouvelles molécules, mais de nombreuses études avec des résultats très positifs, qui positionnent l’immunothérapie et les thérapies ciblées de plus en plus précocement et soulignent l’intérêt d’une approche transversale de certaines tumeurs.

Même virtuel, le congrès de l’American Society of Clinical Oncology (Asco), qui s’est tenu du 29 au 31 mai, a permis de faire le point, cette année encore, sur les grandes tendances en matière de cancérologie.

Thérapies ciblées et immunothérapies de plus en plus précoces

Premier constat : l’immunothérapie et les thérapies ciblées, qui avaient d’abord fait leurs preuves dans les stades les plus avancés des cancers, conquièrent peu à peu des tumeurs de plus en plus précoces, comme l’illustre parfaitement l’étude Adaura. La présentation en plénière de cet essai a constitué un moment fort du congrès. L’osimertinib, un inhibiteur de tyrosine kinase (ITK) de 3e génération, qui avait déjà prouvé sa supériorité sur les ITK de 1re génération en 1re ligne de traitement des cancers bronchiques non à petites cellules (CBNPC) avancés et métastatiques avec mutation de l’EGFR (10 % en Europe), s’affirme dans les tumeurs non métastatiques. Après résection complète, il réduit le risque de rechute de 83 % versus placebo dans les stades II et IIIA, de 50 % dans les stades IB. « C’est la première fois qu’on obtient de tels résultats en traitement adjuvant depuis l’avènement de la chimiothérapie, et on attend les résultats sur la survie globale, ce qui devrait aboutir à une modification des pratiques », se félicitait le Pr Jean-Yves Blay (Lyon). 

Quand la cible moléculaire prime sur le type tumoral

« Autre tendance forte, la multiplication des approches transversales, c’est-à-dire des stratégies thérapeutiques qui ne sont plus déterminées par un type histologique particulier mais par les altérations moléculaires », explique le Pr Christophe Le Tourneau (Institut Curie). « L’année 2017 avait marqué un tournant en cancérologie avec deux molécules ayant obtenu l’AMM aux USA dans ce type d’approche, une thérapie ciblée visant la fusion de NTRK (0,3 % des cancers) d’une part et d’autre part, une immunothérapie prescrite en cas d’instabilité des microsatellites, très rare dans les cancers, mais un peu plus fréquente dans ceux du côlon ou de l’utérus. » D’autres molécules ont, depuis, confirmé l’intérêt de ces stratégies « histologiquement agnostiques ». Ainsi, après le cancer du sein, le trastuzumab (Herceptin®) couplé au deruxtecan (inhibiteur de la topoisomérase 1) a fait ses preuves dans le cancer de l’ovaire HER2+, mais aussi dans d’autres tumeurs HER2+ comme certains cancers digestifs (côlon et estomac) et pulmonaires métastatiques. 

Ce concept de médecine de précision où la cible moléculaire prévaut sur le type tumoral repose sur le séquençage des tumeurs prévu dans le plan France médecine génomique 2025.

Autre corollaire de la médecine de précision, l’intérêt apporté aux tumeurs rares, qui dans leur totalité représentent 20 % des cancers, comme le sarcome d’Ewing, le glioblastome, etc. De la même manière, on peut maintenant isoler des groupes de patients parfois très peu nombreux en se basant sur les altérations moléculaires.

Des anticorps bispécifiques

Enfin, les anticorps bispécifiques, dont aucun n’est encore commercialisé, représentent une prouesse technologique car ils ont une efficacité supérieure à l’association de deux anticorps visant deux cibles différentes. Dans le CPNPC par exemple, en cas de mutations de l’insertion de l’exon 20 de l’EGFR, un anticorps bispécifique ciblant l’EGFR et la voie MET (récepteur membranaire à activité tyrosine kinase), l’amivantamab, semble prometteur pour ces patients aujourd’hui en situation d’impasse thérapeutique.

Un pas prudent vers l’allègement thérapeutique

La question d’un allègement thérapeutique peut se poser dans certaines tumeurs susceptibles d’être « surtraitées ». Ainsi, dans l’étude MammaPrint, présentée lors du congrès, une signature génomique a permis d’identifier, après intervention chirurgicale pour cancer du sein, les patientes chez qui on pourrait s’abstenir de chimiothérapie, ce qui a permis de diviser par deux le nombre de chimiothérapies. De même, on a récemment montré que chez certains patients atteints de cancer colorectal, une chimiothérapie de 3 mois faisait aussi bien que 6 mois. Cette stratégie ne se conçoit que dans les tumeurs dont le taux de guérison est très important et qui sont potentiellement surtraitées. « Il faut rester très prudent, car on a vu l’an dernier que deux essais de désescalade thérapeutique dans les cancers ORL liés à l’HPV se sont soldés par une moins bonne efficacité et une perte de chance pour certains patients », explique le Pr Le Tourneau.

Dr Maia Bovard-Gouffrant