3,7 millions de morts ont été estimés en 2012 par l’OMS des suites de la pollution extérieure. Contre 1,3 million en 2008. C’est « souvent la conséquence des politiques non durables menées dans les secteurs des transports, de l’énergie, de la gestion des déchets et l’industrie », commente le Dr Carlos Dora, coordonnateur de l’étude, dénonçant en premier lieu le diesel, dont « les effets cancérigènes sont jugés très mauvais ».
Cette évaluation repose sur une nouvelle méthodologie : meilleure connaissance des maladies provoquées par la pollution, meilleure évaluation de l’exposition humaine aux polluants, meilleure technologie des instruments de mesure et meilleure prise en compte des zones rurales grâce à l’observation satellitaire.
480 000 années perdues en France ?
En France, un autre chiffre est cité en boucle : 42 090 personnes seraient victimes chaque année d’une mort prématurée en lien avec la pollution aux particules fines imputées au diesel ; elles ont été comptabilisées par un programme de la Commission européenne, le CAFE (Clear Air for Europe), publié en 2005. Bruxelles a aussi totalisé 3,7 millions d’années d’espérance de vie qui partiraient chaque année dans les fumées d’échappement à travers l’Europe, les Français y laissant 480 000 années. Faute de pouvoir tracer des pathologies directement provoquées par la pollution atmosphérique, les statisticiens européens ont modélisé une étude épidémiologique américaine publiée en 2002 dans le « Journal of the american medical association » (1). D’après celle-ci, chaque progression de 10 µg de PM2,5 par m3 d’air provoque une hausse de 6 % du risque de mortalité lié aux maladies chroniques. Mais, à supposer que la méthodologie américaine soit pertinente et le ratio vérifié, ces données statistiques correspondent-elles encore aux niveaux de pollution actuels, interrogent certains (lire ci-contre) ?
Bilan édifiant
Depuis une dizaine d’années, les études extrêmement nombreuses menées des deux côtés de l’Atlantique concordent pour la plupart et établissent un lien entre morbidité et mortalité, d’une part, et exposition aux concentrations de polluants atmosphériques, spécialement les particules fines PM2,5, d’autre part. Le bilan de 15 ans de surveillance tiré par Laurence Pascal (2) est édifiant : l’étude européenne multicentrique Aphea depuis 1992, le programme français Erpurs depuis 1993, le PSAS (programme de surveillance air et santé) lancé en 1997 par l’InVS, le projet européen ESCAPE depuis 2008, le projet Aphekom depuis la même année, tous ces travaux épidémiologiques établissent un excès de risque relatif (ERR) de mortalité ou de morbidité corrélé notamment aux particules fines en suspension dans l’air. Aphea chiffre les ERR associés aux particules à 0,5 % pour la mortalité totale et à 0,7 % pour la mortalité cardiovasculaire ; le PSAS enregistre sur la période 1998-2003 une augmentation du risque d’hospitalisation pour cause cardiovasculaire de 0,7 % pour une augmentation de 10 µg/m3 des niveaux PM2,5 ou PM10. Aphekom a calculé que l’espérance de vie des personnes de 30 ans et plus augmenterait jusqu’à 22 mois si les niveaux moyens annuels de particules fines étaient ramenés au seuil de 10 µg/m3, la valeur-guide préconisée par l’OMS.
Tous ces programmes, qui ont mis en lumière le rôle néfaste des PM2,5, ont entraîné prise de conscience publique et décisions politiques. En France, la loi sur l’air (1996) a rendu obligatoire la surveillance de l’air, le plan particules en 2009 fixe une réduction des niveaux de PM de 30 % d’ici à 2015, la loi Grenelle 2 de l’environnement crée en 2010 des zones d’action prioritaire pour l’air avec interdiction possible des véhicules polluants. En Europe, la Commission a adopté une directive qualité de l’air avec de nouvelles valeurs limites (voir Repères). Au plan mondial le CIRC (Centre international de recherche sur le cancer, agence OMS) a reclassé en 2012 les gaz d’échappement des moteurs diesel comme « cancérogènes pour l’homme » (Groupe 1).
L’OMS Europe a publié un impressionnant document de 300 pages, REVIHAAP (review of evidence on health aspects of air pollution), sorte de conférence de consensus élaborée par 29 experts internationaux (épidémiologistes, toxicologues, spécialistes des sciences de l’atmosphère), à partir d’une compilation exhaustive de la littérature scientifique. Le bilan sanitaire des particules (PM) est sans appel : leurs effets à court et long terme sur la mortalité et la morbidité sont « confirmés, renforcés, mais aussi élargis » : effets pulmonaires et cardio-vasculaires, mais aussi prénatals, cognitifs, neuro-développementaux, athérosclérose, diabète. Les liens de causalité et cette diversification des effets sont étayés par des mécanismes biologiques pertinents.
Un besoin de « connaissances nouvelles »
Pour autant, le débat n’est pas clos. Des voix discordantes s’élèvent encore et toujours (lire ci-contre). Les recherches doivent donc être poursuivies. Laurence Pascale pointe ainsi « des besoins de connaissances nouvelles dans le domaine des mécanismes d’action des polluants et de la toxicité des particules ». « Constituées d’une multitude de composants chimiques, les particules fines forment un mélange hétérogène et complexe, souligne Frank Kelly (King’s College de Londres) ; l’identification et la quantification des influences de ces mélanges associés à des sources spécifiques sur des mesures d’effets sur la santé représentent un des domaines les plus complexes de la recherche en santé environnementale. » C’est le défi que doivent encore relever des équipes pluridisciplinaires (recueil de davantage de données de spéciation, techniques de modélisation plus fines, évaluation d’exposition plus précise…).
D’autres directions restent à investiguer sur le plan social, avec la prise en compte des populations les plus exposées qui seraient encore les plus socialement défavorisées. La pollution particulaire aggraverait les ISS (inégalités sociales de santé). Les sciences sociales seraient aussi mises à contribution avec la biologie, la toxicologie, l’écologie, l’épidémiologie, l’ingénierie et les statistiques.
1) http://www.researchgate.net/publication/11483920
2) BEH, 8 janvier 2013
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