« L’émergence de l’intelligence artificielle est une chance dont les cardiologues doivent se saisir si l’on veut préserver la qualité de notre exercice et répondre à la demande de soins qui ne va cesser de croître », souligne le Dr Thierry Garban, membre du comité de pilotage du cercle « intelligence artificielle » de la Société française de cardiologie. En effet, les maladies cardiovasculaires sont en hausse, la démographie cardiologique en tension, et en conséquence le temps disponible par patient se réduit. « L’IA peut libérer du temps médical, sécuriser les réponses médicales et améliorer les conditions d’exercice des cardiologues », souligne le cardiologue.
Des applications en imagerie et en rythmologie
L’IA a atteint un niveau de maturité particulièrement élevé dans le champ de l’imagerie médicale, notamment dans l’analyse des images en coupe (scanner cardiaque, IRM, échocardiographie 3D). Ces avancées concernent principalement l’automatisation de la segmentation, l’évaluation fonctionnelle (fraction d’éjection, volumes ventriculaires), la détection de pathologies structurelles ou ischémiques et, plus récemment, la stratification pronostique.
Parallèlement, en électrophysiologie cardiaque, les progrès sont notables, notamment en rythmologie. L’IA permet aujourd’hui, à partir d’un électrocardiogramme (ECG) en rythme sinusal, d’identifier des patients à haut risque de développer une fibrillation atriale (FA). Plusieurs études ont démontré que des réseaux de neurones profonds (deep learning) pouvaient détecter des signatures électrophysiologiques invisibles à l’œil nu du clinicien, prédictives d’une survenue future de FA.
Des approches majoritairement à l’état de preuve du concept
Toutefois, ces approches restent encore majoritairement à l’état de preuve de concept et ne sont pas intégrées dans les recommandations cliniques, ni dans la pratique quotidienne. Il en va de même pour la prédiction, à partir d’un ECG de repos, du risque d’événements coronariens aigus (type syndrome coronarien aigu), qui fait l’objet de travaux de recherche, prometteurs mais encore exploratoires.
Ces dispositifs d’IA doivent être différenciés des logiciels d’aide à la lecture de l’ECG, fondés sur des règles ou arbres de décision, qui fonctionnent bien pour des anomalies simples (BBD, BBG, hypertrophie auriculaire, anomalies de conduction, parfois syndrome de repolarisation précoce) mais sont fréquemment pris en défaut sur des diagnostics complexes.
Apprentissage automatique ou profond
Mais quand on parle d’IA, de quoi parle-t-on ? Selon l’Organisation mondiale de la santé, elle peut être définie comme « une branche de l’informatique, des statistiques et de l’ingénierie qui utilise des algorithmes ou des modèles pour effectuer des tâches et adopter des comportements tels que l’apprentissage, la prise de décision et la prédiction ». En quelque sorte, une machine capable de réaliser des tâches d’êtres humains, ce qui n’est pas encore le cas aujourd’hui en cardiologie.
Le terme englobe le champ du « machine learning » (apprentissage automatique), qui désigne des algorithmes dont les performances s’améliorent à mesure qu’ils sont exposés à plus de données, et celui du « deep learning » (apprentissage profond), sous-ensemble du « machine learning », dans lequel les réseaux neuronaux multicouches apprennent à partir d’une grande quantité de données.
Trois types de données
Quels qu’ils soient, tous les algorithmes utilisés dans le domaine médical sont fondés sur trois types de données : des données issues de la pratique ; des données artificielles, entièrement issues d’algorithmes ; et des données synthétiques, associant les deux.
Actuellement, plus de la moitié des dispositifs médicaux ayant bénéficié d’un marquage FDA (Food and Drug Administration) et qui embarquent de l’IA au sens large reposent sur des données d’origine artificielle ou synthétique, ce qui pose la question de l’absence de validation clinique. « Les médecins doivent prendre conscience du caractère essentiel de la sécurisation des données de leurs patients et de la nécessité du respect de la réglementation française et européenne quant à leur stockage sécurisé, dans le respect de l’“IA Act”, qui entrera en vigueur prochainement », précise le Dr Garban. Ainsi, lorsqu’ils utilisent des outils d’aide au diagnostic proposés par différentes firmes, ils doivent s’informer sur l’origine des données (vraie vie, synthétique ou artificielle) et sur la validation clinique du système. Comme dans les essais cliniques, il peut y avoir des biais de sélection : tous les modèles ne sont pas généralisables. Cependant, les systèmes de génération augmentée de récupération (RAG) permettent d’apporter des réponses fondées sur des données plus ciblées, avec un risque moindre d’« hallucinations » (réponses fausses ou trompeuses), donc plus adaptées à la pratique médicale.
Entretien avec le Dr Thierry Garban, secrétaire général du Syndicat national des cardiologues
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