Le plaisir dans l’alimentation, un vecteur de bonne santé

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Publié le 06/06/2019
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Crédit photo : Phanie

Dès la naissance et de façon innée, le nourrisson est attiré par la saveur sucrée et les aliments riches, nécessaires à sa croissance. Le lait maternel lui procure du plaisir et contribue à son développement. « À l’inverse, le tout-petit n'a pas d'appétence immédiate pour la saveur amère. C'est ce qui explique qu'il peut rejeter les légumes lors des premières expositions », souligne Sandrine Monnery-Patris, chargée de recherche à l'Inra, Centre des sciences du goût et de l'alimentation (CSGA), Dijon. Pour prendre plaisir à consommer des aliments sains tels que les légumes, l'enfant devra se familiariser avec leur goût et leur texture. « Les études montrent qu'il faut, en moyenne, entre 8 et 11 expositions pour contrer le phénomène de néophobie alimentaire et favoriser le plaisir lié à la consommation de nouveaux aliments », précise Sandrine Monnery-Patris. L'apprentissage dès la plus tendre enfance facilite, ainsi, l'association entre aliments sains et bons pour la santé. Des travaux menés au CSGA (1) ont mis en évidence 3 types de plaisirs liés à l'alimentation : sensoriel (goût des aliments), social (partage, commensalité) et cognitif (valeur symbolique de l'aliment). Il existe une imagerie forte, liée à chaque groupe d'aliments, à laquelle les enfants sont très sensibles. Cette imagerie est notamment véhiculée par la publicité télévisée. « Or les aliments sains - tels que les fruits et légumes - ne sont jamais valorisés dans les publicités. Au contraire, ils sont présentés comme des aliments qu'il faut consommer car "bons pour la santé". Cette communication, fondée sur des messages nutritionnels culpabilisants a des effets délétères. Des travaux américains ont montré que plus on instrumentalise un aliment - plus on le détourne de son usage premier qui est de se nourrir et se faire plaisir - et plus les enfants se détachent de l'aliment en question », ajoute Sandrine Monnery-Patris.

Se réapproprier l'acte alimentaire

Si la construction de l'acte alimentaire chez l'enfant passe, avant tout, par le plaisir, chez l'adulte ce lien est plus complexe. Chez ce dernier, le choix d'un aliment fait souvent face au dilemme nutrition/plaisir. « La grande majorité des adultes normaux pondéraux - sans troubles du comportement alimentaire - savent se faire plaisir en mangeant sans que cela nuise à leur santé », indique Stéphanie Chambaron, docteur en psychologie cognitive, chargée de recherche à l'Inra (CSGA, Dijon). Cette prise de décision serait plus compliquée chez l'adulte obèse. « Ces derniers doivent respecter des injonctions nutritionnelles et faire face à un environnement obésogène (multiplication des fast-foods, publicités valorisant les produits caloriques…) », confie Stéphanie Chambaron. Face à ces informations antithétiques, comment le patient obèse peut-il associer plaisir et santé ? L'une des pistes serait qu'il se réapproprie l'acte alimentaire. « Aujourd'hui, le manque de temps ou d'envie, les pousse à consommer des aliments ultratransformés et les repères associés aux repas (s’asseoir autour d’une table, partager…) se perdent », note Stéphanie Chambaron. Depuis 4 ans, cette chercheuse et son équipe animent des ateliers d'éducation thérapeutique (ETP) au CHU de Dijon auprès de parents et d'enfants obèses. L'objectif est de redonner du bon sens à l'alimentation : apprendre à écouter ses sensations, décrypter les étiquettes nutritionnelles, donner des astuces pour cuisiner de façon simple, saine et savoureuse… « Nous suivons ces patients pendant 6 mois. Les premiers résultats indiquent qu’à l'issue de l'ETP, certains patients obèses reprennent du plaisir et dédramatisent l'acte alimentaire », conclut Stéphanie Chambaron.

(1) L Marty et al., Appetite, 120, 265, 2018.

Hélia Hakimi-Prévot

Source : Le Quotidien du médecin: 9755