« LE CHANTEUR américain Michael Jackson est mort à l’âge de 50 ans des suites d’un arrêt cardiaque à Los Angeles en Californie. » Ce jeudi 25 juin 2009, comme tous les matins depuis une trentaine d’années, le Pr Alain Branchereau se rend en voiture à l’hôpital de la Timone à Marseille. Dans le flot des informations du jour, à peine entend-il l’annonce qui va bouleverser la planète entière. Le soir venu et les jours suivants, il s’étonne de l’ampleur de l’émotion, du nombre et de l’importance des réactions et de la place accordée par les médias à ce qui est encore, pour lui, un non-événement. Il s’en ouvre à sa belle-fille, programmatrice de spectacles : « C’est quoi cette histoire, on dirait la mort la mort de Jean-Paul II », lui lance-t-il. « Mais Alain, tu ne te rends pas compte, c’était un géant absolu », lui rétorque-t-elle.
Une pensée comme une boutade.
Deux ans et demi plus tard, le même Alain Branchereau déclare au « Quotidien » : « J’ai beaucoup d’admiration pour l’artiste immense qu’il a été et beaucoup d’empathie pour le personnage et sa vie tragique. » Entre temps, il aura passé des mois à éplucher la biographie du « roi de la pop », à décrypter ses interviews, à analyser les rapports d’autopsie disponibles sur Internet. Et le voilà, lui, un chirurgien vasculaire reconnu, certes passionné d’opéra depuis toujours, devenu, le temps d’un ouvrage, un spécialiste de Michael Jackson. La remarque de sa belle-fille l’avait piqué au vif. Alors il a écouté les principaux enregistrements de l’artiste. Une chose le frappe d’emblée : « On dirait un castrat », se dit-il. Le sujet l’intéresse, Il est amateur d’opéra baroque et a lu « l’Histoire des castrats »** de Patrick Barbier. Une pensée fugace, « presqu’une boutade », confie-t-il, qu’il soumet pourtant à un ami endocrinologue. De lui, viennent les premières certitudes, l’hypothèse est plausible : dans les années 1970, le premier anti-androgène était en cours d’expérimentation aux États-Unis.
Habitué aux publications et ouvrages médicaux – il est l’auteur d’une vingtaine de livres de chirurgie vasculaire –, il se saisit avec passion de ce sujet digne de la presse people, dont il n’hésite pourtant pas à pourfendre les excès, et interroge ses amis médecins, endocrinologue, chirurgien plastique, spécialise de la voix, dermatologue ou psychiatre. L’enquête est minutieuse, chirurgicale. L’enfance, les relations avec Joe le père, l’adolescence, la vie sentimentale et amoureuse, les rumeurs de pédophilie ou d’homosexualité, les circonstances de la mort, tout passera au scalpel de son expertise.
L’énigme qu’il tente de résoudre : « Comment s’est constitué cet être androgyne étrangement asexué, à la voix hors normes, aux allures d’éternel jeune homme », se demande-t-il ?Comment est-on passé « du petit garçon au physique typiquement afro-américain des Jackson Five à cet éphèbe grand, mince, à peine métissée du héros de "Thriller" ou d’"Invincible" », sorte de Janus moderne, ambigu quel que soit l’angle du regard : noir ou blanc, masculin, féminin, adulte ou éternel adolescent.
Comme la Callas.
D’abord la voix. Voilà ce qu’en dit Seith Riggs, un professeur de chant reconnu, ancien chanteur d’opéra et conseiller des plus grands : « Michael a une tessiture incroyablement étendue, il chante à peu près sur trois
octaves (…) sans passer en falsetto (…), il chauffe sa voix et il passe du do baryton au contre-sol, c’est-à-dire plus haut que la reine de la nuit dans "la Flûte enchantée". Michael peut le faire et il le fait en dansant. » Le Pr Branchereau est ébahi. Lui aussi a entendu cette voix qui passe du médium au soprano, tout cela avec sa voix naturelle sans passer par la voix de tête, comme peuvent le faire les contre-tenors ou haute-contre comme Philippe Jaroussky ou, dans le domaine de la variété, des chanteurs comme les Bee Gees ou Daniel Balavoine. Une vraie voix de poitrine, avec une tessiture de 3 octaves. « Seules des femmes comme la Callas peuvent chanter sur 3 octaves », s’enthousiasme le chirurgien.
Et cette voix, il en suit l’évolution. Michael Jackson chante à 12, 13, 16 ou 20 ans et au-delà comme à 10 ans. Sa voix ne change pas, « elle garde la même capacité à monter dans les aigus, la même fraîcheur, la même tessiture étendue sur trois octaves », souligne le Pr Branchereau. À la puberté, pourtant, les modifications morphologiques du larynx auraient dû modifier cette voix et entraîner la perte d’un ou deux octaves dans les aigus. Chez Michaël Jackson, point de mue, point de cette fragilité de la voix qui provoque, chez les jeunes chanteurs, des couacs imprévisibles en plein milieu d’une ligne mélodique, les obligeant à interrompre leur carrière pendant 2-3 ans et parfois définitivement. Au contraire, entre 1972 et 1975, soit entre l’âge de 13 ans et celui de 16 ans, en pleine période de puberté normale, il enregistre 4 albums.
L’acné, une catastrophe.
L’hypothèse de la castration chimique prend corps. Michael Jackson a-t-il été le dernier castrat du XXe siècle ? Une castration traumatique ou chirurgicale, évoquée à plusieurs reprises, peut être d’emblée éliminée : ni le rapport d’autopsie, ni l’examen et la photographie de ses organes génitaux, ordonnés par un procureur pointilleux lors du procès de 2005, ne signalent d’atrophie testiculaire bilatérale. En revanche, certains éléments biographiques confortent le recours possible à une castration médicamenteuse. Dans ses mémoires, Michael Jackson raconte lui-même : « Quand je me suis vu pour la première fois dans la glace avec d’horribles boutons sur tous les pores de ma peau j’ai crié : "Oh non !" Plus j’étais complexé et plus j’en avais. J’avais tellement honte de mon visage (…) Mon frère Marlon était aussi couvert d’acné mais il s’en fichait. » Et un de ses biographes écrit : « La puberté transforme son ancien visage d’enfant. Des boutons le défigurent. Paniqué, il consulte tous les médecins de la terre, achète des tombereaux de crèmes. »
La cyprotérone.
À 12 ou 13 ans, le prodige est déjà une bête de scène. Pour lui, l’acné est une catastrophe. Comme pour son entourage : le père, Joe Jackson, que le Pr Branchereau n’hésite pas à comparer au vieux Léopold, père de Mozart le prodige, mais aussi le puissant patron de la Motown, Berry Gordon. Lui, par souci de son image, les deux autres surtout parce qu’ils ont conscience de détenir une vraie pépite qui pourrait perdre, à la loterie de la puberté, et son visage poupin et sa voix. Inquiets, ils se renseignent, consultent à tout va. La cyprotérone est en cours d’expérimentation clinique dans le traitement du cancer de la prostate. « Parmi les nombreuses autres conséquences du blocage hormonal, une est imprévisible et on envisage déjà son application thérapeutique, c’est le traitement de l’acné chez les jeunes filles », écrit le chirurgien enquêteur. Il est facile d’imaginer que ce traitement, « annoncé comme très efficace, ait été proposé pour régler le problème, avant tout esthétique et bénin, de ce chanteur adolescent, dont la voix vaut de l’or ». Pour ses mentors, l’occasion est belle de « faire d’une pierre deux coups », rassurés par la réversibilité de l’effet, comme ont dû sans doute le préciser les médecins. L’anti-androgène agit en effet en périphérie, au niveau des organes et des tissus récepteurs sensibles à l’action de la testostérone ; la capacité de production de l’hormone par les testicules reste, elle, inchangée.
Un larynx d’enfant.
Combien de temps ce traitement miracle lui a-t-il été administré ? Sans doute jusqu’à l’âge de 18-20 ans, selon le Pr Branchereau. Une fois encore, la biographie de l’artiste tout comme ses photographies donnent quelques réponses. L’âge de 19 ans est une époque charnière, celle où il décide de prendre en charge sa carrière et décide de « virer son père ». « Le contrat de mon père arrivait à expiration et bien que la décision soit difficile à prendre, le contrat ne fut pas renouvelé », note-t-il dans son autobiographie. C’est à ce moment qu’il arrête sans doute le traitement. C’est aussi aux environs de cette période que les photographies le montrent avec un duvet clairsemé sur la lèvre supérieure et le menton, « comme chez les ados de 14 ou 16 ans », commente le Pr Branchereau. À l’arrêt du traitement, les hormones mâles normalement secrétées par les testicules normaux peuvent de nouveau agir et en particulier faire apparaître la pilosité. Le larynx est fixé, la croissance est terminée : pas de bascule en avant, pas d’allongement, pas d’épaississement des cordes vocales. Le miracle persiste : la voix, préservée, aura gagné en puissance comme chez les castrats du XVIIe siècle, mais les conséquences tant psychologiques que sur le plan de l’identité sexuelle seront dramatiques.
Le Pr Branchereau en est sûr, Michael Jackson aura été le dernier castrat de l’histoire de la musique et le seul castrat des temps modernes. Comme les castrats, qui furent les premières divas d’un star-system naissant, il aura été broyé par ce dernier et sans doute aussi par une société postmoderne où la médecine est devenue un bien de consommation.
* « Michael Jackson, le secret d’une voix », Guy Trédaniel Éditeur, Éditions Frison-Roche, GM Santé, 160 pages, 14,90 euros.
** Grasset, 272 p. 2003.
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024