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Dossier

Santé publique

Grippe, peut-on faire mieux ?

Publié le 25/01/2013

Un meilleur ciblage vaccinal des populations à risque, une utilisation plus précoce et ajustée des antiviraux et une plus large diffusion des mesures barrières pourraient permettre de limiter les complications et les décès imputables à la grippe. Au cabinet médical comme au laboratoire, des marges de manœuvre existent.

Déjà presque 1 million de cas déclarés et, au moins, 10 décès déplorés. À peine 5 semaines après le début de l’épidémie, force est de constater que cette année encore la grippe se porte plutôt bien…Et même si, dans l’Hexagone, l’épidémie semble pour le moment moins meurtrière qu’outre-Atlantique, les plus fragiles et les plus âgés risquent une fois de plus d’en faire les frais. D’où une interrogation simple : peut-on faire mieux en la matière et prévenir d’avantage la grippe et ses complications.

La vaccination en question

Derrière cette question se pose celle du niveau de protection conféré par la vaccination. En novembre dernier, tout en encourageant les praticiens à vacciner leurs patients ciblés par les recommandations, le CNGE (Collège National des Généralistes Enseignants) mettait en exergue « l’efficacité limitée » des vaccins trivalents actuellement utilisés et l’absence de données cliniques fiables concernant certaines populations (patients âgés et enfants de moins de 2 ans notamment).

De fait, reconnaît le Dr Anne Mosnier (Coordination nationale du réseau des Grog, Paris) ces vaccins « posent certains problèmes car ils n’ont pas une efficacité excellente et celle-ci est variable selon les tranches d’âge, les saisons et les souches circulantes?».

«Selon deux méta-analyses récentes, les vaccins adaptés aux souches circulantes ont une efficacité estimée à 15 % (IC95 = 9-22) sur les syndromes grippaux et à 73 % (IC95 = 54-84) sur les grippes confirmées, diminuant à 59 % (IC95 = 51-67) avec des critères de définition plus stricts », résume le CNGE. Concernant l’impact sur les complications et la mortalité, s’il existe peu d’essais contributifs sur le sujet, les données observationnelles montrent une diminution d’un facteur 10 du nombre de décès imputables à la grippe depuis l’introduction de la vaccination.

« En fait tout dépend donc de ce que l’on mesure et de ce que l’on attend du vaccin », souligne le Dr Anne Mosnier. Aujourd’hui dans la plupart des pays d’Europe (dont la France), les campagnes vaccinales visent avant tout à protéger les sujets les plus à risque de formes graves et de décès. Et, à ce titre, « les vaccins actuels ne font pas si mal », tempère le Dr Mosnier. En revanche, dans une optique de réduction globale de l’incidence de la grippe, l’on reste clairement loin du compte.

Dans ce contexte, certains chercheurs plaident pour une recherche plus active dans le domaine de la vaccination anti-grippale. À l’image du Cidrap (un organisme de recherche américain) qui, dans un rapport récent, pointait du doigt un certain attentisme en la matière.

Mieux cibler les sujets à risque

Plusieurs innovations sont pourtant dans les tuyaux, Mais, pour le moment, rares sont celles qui ont véritablement abouti et le vaccin universel qui permettrait de protéger durablement contre l’ensemble des virus grippaux risque de se faire désirer encore de nombreuses années (lire encadré).

En attendant, les vaccins trivalents restent donc « la meilleure arme dont on dispose », reconnaît le Pr Henri Partouche (département de Médecine Générale , faculté de médecine Paris-Descartes/ Membres du Comité Technique des Vaccinations) qui invite à mieux cibler les patients à même d’en bénéficier.

«?Trop souvent, on pense à la grippe chez les sujets âgés et chez les nourrissons, mais on ne se penche pas assez sur les autres patients à risque concernés par l’indication vaccinale qui sont pourtant nombreux en médecine générale », regrette ce généraliste. Et, actuellement, si la couverture vaccinale est

relativement bonne chez les plus de 65 ans (55,2% en 2011), elle reste très insuffisante pour les sujets à risque de 15 à 64 ans (33%). Or, en 2010/2011, 66 % des décès concernaient des personnes de 15 à 64 ans dont 2/3 présentaient un facteur de risque de grippe grave. « Il faut donc changer

de paradigme, insiste le Pr Partouche, et sortir d’une vaccination à la carte pour les sujets sains pour s’inscrire dans une démarche de santé publique qui protège les sujets les plus à risque de formes graves et de décès. Je pense qu’il y a là une marge d’amélioration énorme. Le médecin doit aller “pêcher” lui-même ces patients éligibles à la vaccination sans attendre le bon de la Sécu.» D’autant que tous ne sont pas forcément en ALD et ne rentrent pas systématiquement dans le circuit de l’Assurance Maladie.

Et de rappeler que de nouvelles indications vaccinales ont été ajoutées au calendrier vaccinal comme les patients ayant eu un AVC ou une coronaropathie et, plus récemment, les obèses et les femmes enceintes.

« Comme nous l’avons montré dans une étude récente, les avis et les conseils des généralistes ont un impact décisif sur la couverture vaccinale, poursuit le Pr Partouche, et dès lors que l’on identifie des patients à risque de grippe grave et qu’on le leur dit, ils nous écoutent. »

Antiviraux : ni trop, ni trop peu

À côté de la vaccination, les antiviraux ont aussi leur carte à jouer s’ils sont utilisés de façon précoce et à bon escient. Dernièrement, le HCSP s’est prononcé pour une prescription « ciblée » de ces médicaments en les réservant au traitement curatif des « personnes jugées à risque ciblées par la vaccination », aux

« personnes présentant une grippe grave d’emblée ou dont l’état général s’aggrave selon l’appréciation du médecin » et « aux personnes dont l’état justifie une hospitalisation pour grippe ».

Le HCSP préconise aussi un traitement préemptif (c'est-à-dire à dose curative) chez « les personnes encore asymptomatiques mais jugées à risque très élevé de complications grippales par le médecin et en contact étroit avec un cas confirmé ou cliniquement typique de grippe ».

À travers ces lignes on comprend donc que s’il n’est pas question de les utiliser larga manu en population générale, les antiviraux peuvent être les bienvenus dans certaines situations. « Chez quelqu’un de non vacciné qui a un diabète, une BPCO, ou une coronaropathie et qui présente un tableau de grippe brutale, il semble licite de lui prescrire un antiviral », estime le Pr Partouche. À condition d’être délivré au plus tôt comme le souligne le Dr Mosnier. Pour cette spécialiste de la grippe, « s’ils sont prescrits dans les 24 heures, les antiviraux peuvent même être très efficaces ». Or selon un travail de thèse de médecine générale, ce type de prescription reste plutôt marginal chez les généralistes.

Mesures barrières : encore un effort !

Enfin, les mesures barrières doivent aussi être optimisées même si leur efficacité sur la transmission des virus respiratoires n’est étayée « que par des données de faible niveau de preuve », indique le Dr Juliette Barthe (médecin généraliste du département de Médecine Générale de la faculté de médecine Paris- Descartes), qui incite pourtant à « encourager les patients malades et leur entourage à se laver le plus souvent possible les mains à l’eau et au savon et à encourager le port du masque chez les personnes malades côtoyant des patients à risque de complications ». Tout en soulignant que sur le sujet, les généralistes sont loin de montrer l’exemple puisque seulement 20,6 % d’entre eux se lavent les mains « pour prévenir les maladies épidémiques », 4% portent des gants et 6, 4 % portent un masque...