« Depuis ce 2 juin, le congrès de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) se tient totalement en distanciel. Par comparaison aux éditions en présentiel, c’est un programme resserré. Avec deux chaînes de télé en direct, contre de multiples salles de conférences simultanées, il a fallu faire des choix. Seules 15 % des communications initiales ont pu être conservées », regrette le Pr Karim Tazaroute (CHU de Lyon), le président de la SFMU.
« Le fil rouge de cette édition 2021 est organisationnel. Que ce soit pour le Covid-19 [lire p. 29], l’insuffisance cardiaque aiguë [lire p. 31], les AVC, les sepsis, les embolies pulmonaires, etc. : il faut des filières de soins spécifiques, simples, pour améliorer la prise en charge. Et, comme les urgences ne se résument pas au Covid-19, le thème a été cantonné à deux séances plénières. C’était indispensable pour conserver une large place aux nombreuses pathologies et problématiques rencontrées aux urgences », explique le Pr Tazaroute.
Une activité largement modifiée : moins de patients mais plus lourds
« Cette année, on ne peut pas se contenter de se référer aux données brutes de Santé publique France pour décrire l’activité des urgences. Globalement, elles rendent compte d’un recul d’environ 20 % de l’activité en 2020, culminant lors de la première vague à moins 50 %. Mais, vu la pandémie, ces chiffres sont très délicats à interpréter », souligne le Dr Mathias Wargon (CH Delafontaine, Saint Denis), qui est habituellement chargé de faire le point sur l’activité annuelle au congrès.
« En effet, si l’on a perdu une partie de l’activité liée aux patients venant juste consulter pour une pathologie bénigne, nous avons pris en charge plus de patients graves, qu’ils soient Covid ou non. Le Résumé de passage aux urgences (RPU), n’offre pas assez d’informations pour l’interpréter », note l’urgentiste. Il reste en outre difficile de faire le tri entre l’activité purement Covid et celle qui n’y est pas liée. « On avait par exemple des patients venant pour un motif cardiaque qui étaient aussi Covid +, explique le Dr Wargon. Ce qui est certain, c’est que la pandémie a aggravé la problématique des lits d’aval. »
Deux raisons à cela : davantage de patients étaient hospitalisés et, avec l’isolement des patients Covid +, le nombre de chambres disponibles a baissé, certaines ayant été converties en chambres simples.
« En parallèle, le temps de passage aux urgences a augmenté, en raison de la problématique de l’aval mais aussi des délais liés aux scanners et aux PCR. Par ailleurs, il est d’autant plus délicat de qualifier l’activité aux urgences cette année que plusieurs types d’organisation ont été mis en place dans les divers services », souligne le Dr Wargon. Dans certains cas, il y avait deux filières séparées, Covid et non-Covid. Seuls les Covid et les non-Covid graves étaient alors décomptés. À d’autres endroits, les urgences non-Covid étaient adressées aux cliniques. Enfin, certaines activités, comme à l’Hôtel-Dieu (Paris), ne correspondaient qu’à des prélèvements pour PCR, et non à de réelles urgences.
« En 2021, la situation très contrastée, d’une région à l’autre, d’un site à l’autre et d’un moment de l’année à l’autre, avec les flux et reflux de la pandémie, empêche donc de dresser un tableau fidèle de notre activité. Ce qui est sûr, c’est que les urgences ont fourni un gros travail, même si certains patients ont “disparu”. Et l’adaptation à la pandémie a demandé des gros efforts organisationnels, notamment pour les transferts. Cette année a aussi été marquée par la délivrance de soins plus lourds. Au total, 2020 a donc été associée à une importante charge de travail malgré un certain recul, en particulier des consultations », conclut le Dr Wargon.
Covid long : un motif de consultation croissant aux urgences
Autre problématique de taille, les Covid longs, à savoir la présence de symptômes plus de 3 semaines après l’infection. « Ils vont avoir un impact important sur l’activité aux urgences, et c’est déjà manifeste, prévient le Pr Frédéric Adnet (CHU Avicenne, Bobigny), pour qui ces patients doivent être vus aux urgences en raison de la gravité de certaines atteintes. Les données anglaises chiffrent à 10 % le nombre des patients PCR + retournant aux urgences dans les 6 mois. S’y ajoutent 30 % des Covid hospitalisés reconsultant aux urgences dans les 3 mois. Sur la base de ces estimations, on table en France sur plus d’un million de consultations pour Covid long aux urgences. C’est énorme. Il faut s’y préparer. »
Pour éclairer la physiopathologie de cette nouvelle maladie, de nombreuses études ont été menées. « Elles montrent que la maladie est multisystème et la physiopathologie complexe », souligne le Pr Adnet. On peut retrouver, selon les cas : des virus quiescents dans certains organes profonds comme le rein, le foie, le pancréas voire le cerveau ; un syndrome inflammatoire persistant à l’origine de péricardites, thrombus, ou d’embolies pulmonaires ; une fibrose pulmonaire ; des réinfections. Des atteintes potentielles nombreuses, donc, et pour certaines sévères (complications emboliques, péricardites, etc.).
Quelle est la présentation des patients ? « Aux urgences, les cinq principaux motifs de consultation pour Covid long sont les dyspnées, les douleurs thoraciques, les infections pulmonaires, l’anosmie-agueusie persistante et les décompensations psychologiques ou psychiatriques. La majorité de ces patients sont par ailleurs atteints d’asthénie et de fatigabilité », note le Pr Adnet.
« Le caractère multisystème de la maladie impose un bilan relativement large chez ces patients. Les Anglais ont formalisé, dans un consensus (1), les principales investigations à mener, explique l’urgentiste. À savoir : rechercher un syndrome inflammatoire, une thrombose (D-dimères ± imagerie) ; dépister une péricardite ; réaliser une imagerie pulmonaire à la recherche de séquelles ou d’une infection ; refaire une PCR. » Les cas de réinfections sont en effet de moins en moins rares, y compris chez des sujets vaccinés. La vaccination n’est pas efficace à 100 % et on ne connaît pas bien la durée de la protection vaccinale. « C’est pourquoi une PCR doit être systématique », insiste le Pr Adnet.
Exergue : Les atteintes potentielles du Covid long sont nombreuses et pour certaines graves
Entretiens avec le Pr Karim Tazaroute (CHU de Lyon), le Dr Mathias Wargon (CH Delafontaine, Saint Denis) et le Pr Frédéric Adnet (CHU Avicenne, Bobigny) (1) T Greenhalgh et al. Management of post-acute covid-19 in primary care. BMJ 2020;370:m3026 ; http://dx.doi.org/10.1136/bmj.m3026
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