Histoire vécue en temps de Covid

Victimes collatérales du Covid-19...

Publié le 02/06/2020

C'est aussi hors Covid que le système a dysfonctionné... Cette généraliste exerce avec une consoeur dans une de ces communes de l'Oise où un premier cluster a été recensé début mars. Elle évoque la désertion des patients de son cabinet, l'équation impossible du maintien à domicile et l'isolement des praticiens. Avec des conséquences parfois dramatiques. « Le Quotidien » republie aujourd'hui ce témoignage diffusé le 2 juin dernier.

Madame B. est morte. Seule chez elle. Madame B. n’a pas succombé au virus. Il l’a rongée. Madame B. suit tout ce qui est recommandé : lavages de mains, port de masques, éviter de sortir, éviter les contacts humains et surtout, ne pas se rendre chez son médecin.

Son médecin, c’est moi. Installée depuis sept ans, je la vois régulièrement. Elle est agréable, souriante, de nature anxieuse. Elle rappelle plusieurs fois avant ses rendez-vous pour être certaine de ne pas rater le moment. Elle est toujours en avance. Elle patiente sagement en salle d’attente et n’a jamais un mot plus haut que l’autre. Elle a bien suivi les recommandations : elle n’est pas venue.

Ah… Il faut croire que nos cabinets sont sûrement infestés de bestioles en tout genre : bactéries, virus, parasites, pour que soit préconisé aux patients de ne plus venir. Pourtant, j’ai l’impression d’avoir fait tout ce qu’il fallait : désinfection, habillage, organisation, lecture de centaines de pages pour être prête ! J’y ai passé de longues heures à tout réfléchir, tout modifier, tout adapter.

Et, je suis prête, armée jusqu’aux dents : masquée, en blouse, spray d’eau de javel en main. Ma boîte mail en est pleine de recommandations : communications des sociétés de pneumologie, d’ORL, de phlébologie, d’infectiologie, des unions régionales, de la direction générale, de l’Ordre, des algorithmes en tout genre, téléconférences et formations internet. Tout est très intéressant mais…

Finalement, les patients sont peu nombreux. Et potentiellement infectés, encore moins. Beaucoup plus rares qu’en période d’épidémie de grippe. Était-ce l’effet positif du confinement instauré par l’État ? Ou le résultat d’une politique d’éviction de nos cabinets ? En effet, depuis le début de la pandémie, je ne me sens pas investie de mission.

En première phase, le samu et les urgences ont d’abord fait le nécessaire pour éviter les contaminations. Puis, les patients ont été priés de ne pas nous consulter… Mieux, lorsque certains osent braver la porte du cabinet, ce sont eux qui m’avertissent des initiatives locales : tests covid en drive, circuit court dans l’hôpital du coin, laboratoires fermés, centre de radiologie fermé. C’est, aussi, par le biais d’un quotidien que j’apprends l’ouverture d’un centre dédié au diagnostic de coronavirus à proximité de mon cabinet. La mairie prend ses dispositions pour la distribution de masques aux habitants et la réalisation de tests pour leur personnel mais nous ne sommes pas mis au courant. Je pêche les informations comme je peux.

Algorithme inapplicable, une impasse…

Je vois monsieur L., patient âgé, gros rhume et diarrhées récentes. Suspect de coronavirus. Monsieur L. est bien entouré par sa famille et a une infirmière à domicile qui vient lui dispenser ses médicaments. Je prends mon algorithme qui m’indique que je dois ordonner un : « suivi IDE à domicile ». 1er appel : l’infirmière du patient. Ne peut pas car n’a pas le matériel nécessaire pour intervenir auprès de patient potentiellement Covid + Je comprends, alors, qu’aucun infirmier libéral ne pourra le faire : pas de surblouses, peu de gants, insuffisamment de masques. 2e appel : l’hospitalisation à domicile. N’accepte pas les patients sans passage par l’hôpital… C’est une impasse. 3e appel. Cette fois-ci, l’infirmière du patient : « ne passera plus à domicile pour distribuer ses traitements car il existe un risque de transmission aux autres patients. » Conclusion : j’aurais dû m’abstenir. L’algorithme est inapplicable.

C’est alors qu’il nous est demandé de recontacter nos patients fragiles. Ceux-là, mêmes, qui ne sont pas venus en consultation dans les suites de l’allocution de notre premier ministre. Ceux qui ont bien entendu à la télévision qu’il ne fallait surtout pas fréquenter les salles d’attente, en raison du risque vital qu’ils encourraient. Je me demande si l’on se fiche de nous. Devons-nous rattraper les erreurs de communication ministérielle ? Et puis, n’aurais-je pas l’air de faire du démarchage ? J’ai du temps mais, de toute façon, les patients ne répondent pas ; surtout pas aux numéros privés ou inconnus.

J’avais déjà tenté de reprendre contact avec madame B. Elle avait repoussé un premier rendez-vous mais cela lui arrivait parfois. Elle avait rappelé une deuxième fois, me laissant un message. Elle souhaitait, de nouveau reculer notre entrevue car elle : « avait encore assez de médicaments ». Elle était suivie régulièrement par un spécialiste. Elle avait dû le revoir. Sûrement. De toute façon, elle avait repris rendez-vous pour la semaine suivante. Mais, elle n’est pas venue.

Dans le doute, je saisis mon téléphone. Les sonneries retentissent, dans le vide. Les consultations et les jours passent. Madame B. n’a jamais répondu à mes appels. Elle n’est jamais revenue au cabinet. Madame B. est morte. 5 jours après la consultation à laquelle elle n’est jamais arrivée. Elle est décédée « d’avoir bien suivi les recommandations ». Elle est une victime collatérale du coronavirus.

Il est toujours difficile de perdre des patients. J’espère que d’autres, en rupture de soins, ne suivront pas. Depuis quelques jours, les patients reviennent progressivement, sympathiques, empathiques, nous redonnant confiance dans notre travail. Le sentiment d’inutilité disparaît peu à peu.

Les conditions d’exercice n’ont pas été faciles, il a fallu modifier, au jour le jour, notre organisation en fonction des nouvelles données et ce, dans un climat relativement anxiogène. Mais, les liens entre professionnels se sont resserrés, tissés pour l’avenir. Nous continuerons à adapter nos pratiques pour nos patients comme nous l’avons tous fait pendant cette épidémie. Nous serons là ; toujours pour soigner, du mieux que l’on peut.

EXERGUE :« Ils ont entendu à la télévision qu’il ne fallait surtout pas fréquenter les salles d’attente. Je me demande si l’on se fiche pas de nous... »

Dr Marianne Rigal médecin généraliste, Nogent-sur-Oise (60)

Source : Le Quotidien du médecin