Parmi les sept millions de migraineux en France, 90 % peuvent être bien pris en charge par leur généraliste, mais encore faut-il qu'ils le consultent, or 50 % ne lui en parlent jamais. « Comme ils s'automédiquent, il faudrait que les pharmaciens posent systématiquement la question à leurs clients qui achètent régulièrement des antalgiques », insiste la Pr Anne Ducros (CHU de Montpellier), présidente de la Société française d'étude des migraines et céphalées. Les traitements recommandés reposent sur une association d'AINS et de triptans, lorsque l'AINS ne suffit pas à calmer la crise. Et pour les patients qui présentent des crises trop fréquentes, un traitement de fond est nécessaire (à prendre tous les jours en continu, par voie orale) : bêtabloquants, amitriptyline, oxérotone, topiramate.
Si malgré ces traitements, le patient n'est toujours pas soulagé, le neurologue peut reprendre la main : il devrait prendre en charge environ 9 % des migraineux, en cas de crises très sévères ou fréquentes. Et au final, seulement 1 % de tous les migraineux, relevant d'une prise en charge multidisciplinaire, devraient être orientés vers des centres spécifiques. « La migraine sévère (au moins huit jours par mois, avec un impact significatif sur la vie du patient), réfractaire en dépit d'une prise en charge classique, concerne environ 18 000 à 30 000 patients : ils vivent un calvaire alors que les biothérapies pourraient leur changer la vie », relève la Pr Ducros.
Des biothérapies autorisées mais pas remboursées
Certains patients se retrouvent en impasse thérapeutique. Ils présentent au moins huit jours de migraine par mois et se retrouvent en échec d'au moins deux traitements de fond classique, soit par manque d’efficacité (non diminution de la fréquence des crises), soit en raison d'effets secondaires ou de contre-indications limitant leur administration. Ainsi, les asthmatiques ne peuvent pas prendre de bêtabloquants, et les patients obèses d'antimigraineux induisant une prise de poids. « Pour ces patients, les anticorps anti-CGRP ont démontré leur efficacité dans des essais thérapeutiques incluant spécifiquement ces patients en échec de deux, trois voire quatre traitements de fond successifs. Ces anticorps spécifiques viennent bloquer le CGRP ou son récepteur et agissent au niveau du nerf trijumeau. Or, le CGRP est la principale molécule au niveau du nerf trijumeau, qui est responsable de la douleur migraineuse. Comparativement au placebo, les anticorps anti-CGRP, administrés par voie sous-cutanée, ont une efficacité démontrée sur la douleur migraineuse et aucune action délétère sur le foie ou les reins. Cependant, si ces médicaments ont une AMM en France, ils ne sont pas remboursés et donc pas disponibles en pharmacie : ils ne peuvent être achetés qu'à l'étranger, au prix de 480 € par mois au Luxembourg, 550 € en Espagne et 580 € en Suisse », s'insurge la Pr Ducros.
Des raisons d’espérer
Les neurologues ont pu disposer de l’erenumab (Aimovig) pendant un an, via les laboratoires Novartis et un protocole de mise à disposition précoce pour les migraineux en échec de tous les traitements de fond classiques : environ 700 patients ont ainsi pu en bénéficier. « Huit sur dix ont présenté une réponse positive à l'erenumab. Parmi ces patients répondeurs, on compte 5 à 15 % de super répondeurs, avec presque plus de crises. Plus de 60 % des patients ont eu une réponse significative, avec une diminution d'au moins 50 % des crises. D'autres enfin, ont eu une réponse positive moindre, mais avec au moins 30 % d'amélioration, ce qui est cliniquement pertinent ». Etant donné qu'il s'agissait d'une étude ouverte, l'ANSM n'en tient pas compte. « De plus, les essais thérapeutiques à l'origine de l'AMM française ont été conduits contre un placebo, alors que la Commission de transparence en France exige la démonstration d'une supériorité par rapport à une molécule d'efficacité démontrée. Un seul essai, qui vient d'être terminé, répond à ce critère (erenumab vs topiramate) : il démontre une supériorité très significative de l'erenumab en termes d'efficacité et de tolérance. Il doit être publié prochainement et un nouveau dossier transmis à la Commission de transparence. Les neurologues espèrent que le traitement pourra alors être remboursé pour leurs patients ayant une migraine au moins huit jours par mois et en échec d'au moins deux traitements de fond classiques préalables, ce qui ne concernerait que 18 000 à 30 000 migraineux en France, mais dont la vie est gâchée », conclut la Pr Ducros.
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