Pendant de nombreuses années, le monde médical n’a pas reconnu la capacité du jeune enfant à ressentir la douleur. Les arguments avancés pour expliquer l’absence de souvenirs douloureux dans les premières années de vie portaient avant tout sur la question de l’immaturité du système nociceptif et de la myélinisation des circuits de la douleur. Des travaux, publiés à la fin des années 1980 (1), ont permis de corriger ces points de vue. L’organisation neuroanatomique du système nociceptif est en réalité pleinement fonctionnelle au début du troisième trimestre de la vie fœtale.
Il existe bien une immaturité du système nociceptif en fin de grossesse et au début de la vie extra-utérine. Mais elle concerne plus spécifiquement les filtres inhibiteurs du système nerveux central.
Une nouvelle définition de la douleur
Par ailleurs, en juillet, 2020, l’International Association for the Study of Pain (IASP) a proposé une nouvelle définition de la douleur qui permet notamment d’inclure le phénomène douloureux chez les sujets non communicants ou qui ne sont pas en situation de la décrire. Cette nouvelle définition décrit une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à (ou ressemblant à celle qui est associée à) une lésion tissulaire réelle ou potentielle (2). Cette formulation complexe traduit bien la difficulté de la définition de la douleur, qui est avant tout une expérience personnelle, influencée par des facteurs biologiques comme le sexe ou l’âge, mais aussi des facteurs psychologiques et sociaux. Chaque individu apprendra ainsi le concept de douleur à travers ses propres expériences de vie dans un environnement socioculturel spécifique. Ainsi, la description verbale n’est qu’un des nombreux comportements permettant d’exprimer la douleur. L’incapacité à communiquer n’exclut ainsi en rien la possibilité qu’un être humain (ou un animal) éprouve de la douleur.
Le système nociceptif en question
Un autre point consiste à distinguer les termes de « nociception » et de « douleur ». Le premier se réfère à l’activité des nerfs sensoriels, par une stimulation potentiellement nuisible et douloureuse pour l’organisme. Celle-ci ne peut à elle seule rendre compte de la douleur, qui est une perception consciente, corticale. Cette distinction est essentielle chez l’enfant en développement car les circuits qui permettront l’acheminement de l’information nociceptive jusqu’au cortex cérébral subissent une maturation pendant les deux derniers trimestres de la grossesse, ainsi également qu’au cours des premiers mois qui suivent la naissance. C’est précisément cette grande plasticité qui rend d’ailleurs le nouveau-né prématuré extrêmement vulnérable si l’environnement est défavorable à son développement (3). L’hypothèse actuelle est que les hyperstimulations sensorielles périnatales affectent le développement de l’enfant et laissent une empreinte suffisante pour altérer durablement son fonctionnement à l’âge adulte. Plusieurs études cliniques suggèrent également que les réponses à la douleur à l’adolescence ou à l’âge adulte sont atypiques chez les sujets qui, nouveau-nés ou prématurés, avaient été hospitalisés en soins intensifs. Il en va de même du déficit d’interaction mère–enfant, qui semble laisser une empreinte à long terme au sein même du système nociceptif.
D'après la communication du Pr Pierrick Poisbeau (CNRS et université de Strasbourg).
(1) Anand KJ et al. N Engl J Med 1987;317:1321-9.
(2) Raja SN et al. Pain 2020 May 23;10.1097.
(3) Melchior M et al. Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement 2015;16:77-85.
Article précédent
L'effet de la modulation sociale
Article suivant
Élucider les mécanismes
L'effet de la modulation sociale
Une vulnérabilité aux hyperstimulations sensorielles
Élucider les mécanismes
Un diagnostic lourd de conséquences
Un plan d'actions concrètes
L’expérience canadienne
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024