Dossier

22e congrès de pneumologie de langue française

Cancer du poumon, des raisons d’espérer

Publié le 23/02/2018
Cancer du poumon, des raisons d’espérer

Poumon
ZEPHYR/SPL/PHANIE

Entre les thérapies ciblées et l’immunothérapie, le cancer du poumon semble enfin sortir de l’impasse. En parallèle, de nombreuses stratégies de dépistage sont à l’étude. Mais ces progrès ne sont que l’arbre qui cache la forêt du tabagisme, sur lequel la France reste très mauvaise.

Cette année, le cancer bronchopulmonaire constituait le fil rouge du XXIIe congrès de pneumologie de langue française (CPLF, Lyon, 26-28 janvier). « Nous avions fait ce choix il y a longtemps, mais il faut reconnaître que c’est extrêmement bien tombé car il y a eu beaucoup d’actualité et de changements dans ce domaine au cours des deux dernières années », souligne le Pr Jacques Cadranel (hôpital Tenon, Paris).

Des thérapies ciblées…

Si des progrès réels ont été faits à tous les stades de la maladie, les plus marquants concernent les cancers bronchopulmonaires non à petites cellules (CBNPC) métastatiques (qui représentent encore 70 % des malades).

Alors que pendant les années 2000, la médiane de survie pour ces cancers ne dépassait pas 9 à 10 mois, l’arrivée des thérapies ciblées a ouvert une première brèche en améliorant significativement le pronostic des patients présentant certaines mutations tumorales.

Aujourd’hui, quatre types d’altérations génétiques tumorales bénéficient de thérapies ciblées [les mutations EGFR (10 à 12 % des CBNPC métastatiques), les réarrangements d’ALK (5 %), les mutations de BRAF (1 à 2 %) et les réarrangements de ROS (1 à 2 %)] et en quelques années, ces traitements se sont multipliés avec l’arrivée de molécules de 1re, 2e et même de 3e génération. Avec à la clef un allongement net de la survie pour les malades pouvant en bénéficier. Par exemple, « on est désormais sur des médianes de survie de 30 à 40 mois pour les malades dont la tumeur est mutée sur le gène EGFR et de 8 ans pour le réarrangement ALK », illustre le Pr Cadranel.

Malheureusement, ces progrès restent cantonnés au sous-groupe présentant l’une de ces quatre anomalies, soit environ 30 % des malades (pour la plupart non-fumeurs ou anciens petits fumeurs). D’où l’espoir suscité par l’immunothérapie « qui, assez étonnamment, semble avoir une action en miroir et bénéficier plutôt aux fumeurs ».

… à l’immunothérapie

Le principe de l’immunothérapie consiste à relancer l’immunité anti-tumorale en levant l’inhibition induite par la tumeur. Pour échapper au système immunitaire, les cellules cancéreuses miment les systèmes immuno-régulateurs physiologiques (ou point de contrôle). Elles se couvrent ainsi de protéines inhibitrices qui jouent le rôle de panneaux STOP et interagissent avec des récepteurs situés à la surface du lymphocyte T, pour l’empêcher d’exercer sa fonction cytotoxique. Plusieurs couples "protéines/récepteurs" interviennent dans ce processus, mais le premier à avoir été caractérisé et à constituer une cible thérapeutique est le duo protéine PDL-1/récepteur PD-1.

Trois anticorps monoclonaux anti PD-L1 (atezolizumab) ou anti PD-1 (nivolumab et pembrolizumab) ont déjà l’AMM en seconde ligne dans le CBPNC avancé. Dans cette indication, l’immunothérapie permet une amélioration prolongée de la survie (environ trois ans) chez environ 20 à 25 % des patients. Cependant, « chez un petit nombre de malades que nous n’arrivons pas actuellement à bien caractériser, l’immunothérapie peut au contraire aggraver la maladie », nuance le Pr Cadranel.

Suite aux résultats de l’étude Keynote 024, le pembrolizumab a aussi obtenu une AMM pour le traitement de première ligne des CBNPC de stade IV, pour les patients dont la tumeur exprime fortement (plus de la moitié des cellules) PD-L1. « L’immunothérapie est alors efficace, de façon très prolongée, chez 40 % des malades ».

L’immunothérapie fait également l’objet d’essais cliniques dans les formes localisées mais non opérables de cancer du poumon, soit environ 15 % des patients. « Jusqu’à présent, nous n’avions que la radio-chimiothérapie à leur proposer. Un essai thérapeutique récent a démontré que chez ces patients, le durvalumab, un autre anti PD-L1, triple la durée de survie sans progression de la maladie en comparaison du placebo, après radio-chimiothérapie. »

De nombreuses études sont aussi en cours pour évaluer ce type de médicaments chez les patients opérables en traitement adjuvant ou en néo-adjuvant, voire pour d’autres tumeurs thoraciques (cancer bronchique à petites cellules, mésothéliome, tumeurs thymiques).

Encore beaucoup de questions en suspens

Cette extension progressive des indications et du nombre de produits disponibles n’en efface pas moins des interrogations de fond, telle la nécessité de disposer de marqueurs prédictifs fiables de la réponse à l’immunothérapie. Si elle permet un premier tri, l’expression par la tumeur de la protéine PD-L1 (qui conditionne d’ailleurs les AMM du pembrolizumab) ne semble pas être le marqueur idéal, certains patients dont les tumeurs expriment fortement cette protéine ne répondant pas bien à l’immunothérapie et inversement. La charge mutationnelle (nombre de mutations portées par la tumeur) pourrait être un bon marqueur complémentaire. « Plus il y a d’anomalies de l’ADN, plus la tumeur va créer des protéines modifiées ou néoprotéines, plus elle sera susceptible d’être vue par le système immunitaire et donc de répondre à l’immunothérapie », explique le Pr Cadranel. Mais pour le moment, « cette recherche n’est pas réalisable en routine ».

Une autre interrogation porte sur la durée optimale du traitement. « Nous ne savons pas quand arrêter une immunothérapie. Jusqu’à présent, elle est administrée au long cours, par perfusion tous les 15 jours ou toutes les trois semaines. L’arrêt n’est décidé que si le cancer récidive ou que surviennent des effets secondaires. » Sur ce point, l’immunothérapie semble clairement mieux tolérée que la chimiothérapie, avec des effets secondaires moins nombreux et moins sévères mais avec des profils de toxicité qu’on ne connaissait pas jusque-là. En fait, « on crée de l’auto-immunité, d’où des effets secondaires type colites, hépatites, pneumopathies, psoriasis, vitiligo et surtout dysthyroïdie ».

Enfin, comme pour tous les nouveaux traitements anti-cancéreux, se posera la question du coût…
 

Pr Jacques Cardranel : « Il faut s'améliorer sur le tabac »

« Malgré les progrès réalisés ces dernières années, le cancer du poumon garde un pronostic sombre (- 15 % de survie à 5 ans) alors qu’une prévention primaire est possible dans près de 85 % des cas ! L’optimisme actuel est donc mal placé : tout en se réjouissant des avancées thérapeutiques, il faudrait également pouvoir se féliciter d’avoir fait reculer le tabagisme. Le prix du tabac a augmenté trop progressivement, le paquet neutre n’a pas l’air d’avoir un impact suffisant sur la consommation, et le volume de prescriptions d’aide au sevrage n’augmente pas… Il faut passer à la vitesse supérieure. Je souhaiterais aussi qu’on investisse autant de moyens, de créativité et de recherche qu’on en met dans les médicaments, pour éviter que les enfants se mettent à fumer. Car on sait qu’un jeune qui débute la cigarette à 14 ans deviendra fumeur dans 60 % des cas. Le cancer du poumon est une maladie pédiatrique ! Aujourd’hui, la France fait partie des trois pays européens les plus mal classés en termes d’épidémiologie du cancer, avec une incidence très élevée (49 000 nouveaux cas en 2017 – ndlr). L’Angleterre, bien meilleure que nous en termes de lutte contre le tabagisme, a deux fois moins de cancers du poumon ! »


Bénédicte Gatin