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Dossier

Psychiatrie

Quand la démence brouille les cartes

Publié le 31/01/2020
Quand la démence brouille les cartes

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En cas de démence, la prise en charge des troubles psychocomportementaux est souvent concentrée sur l’agitation du patient au détriment des autres symptômes. Avec, à la clé, une surprescription d’antipsychotiques et une frilosité vis-à-vis des autres approches thérapeutiques. Une tendance mise à mal lors du récent congrès français de psychiatrie.

Les troubles psychiatriques n’épargnent pas les sujets âgés, bien au contraire. Fort de ce constat, le dernier Congrès français de psychiatrie (Nice, 4-7 décembre 2019) a proposé plusieurs sessions dédiées à la psychogériatrie. Avec, notamment, une communication sur les troubles psycho-comportementaux du patient atteint de troubles cognitifs majeurs pendant laquelle le Dr Renaud David (Centre mémoire de ressources et de recherche ; CHU de Nice) est revenu sur bon nombre d’idées reçues.

Une surprescription d'antipsychotiques

Parmi les troubles psycho-comportementaux liés à la démence, force est de constater qu'on se préoccupe surtout de l'agitation, très perturbante pour l’entourage et les soignants, alors que l'apathie est bien plus fréquente (plus de 55 % des patients), suivie par la dépression et l’anxiété.

En cas de troubles du comportement, la première étape est d’évaluer le trouble et de chercher sa cause. « Parfois, un simple antalgique suffit à corriger un comportement anormal lié à des douleurs ! », note le Dr David. Ensuite sera proposée une approche non pharmacologique, et en cas d’échec seulement, les psychotropes. « Mais en pratique, on passe bien souvent directement de l’évaluation aux psychotropes, malgré les alertes dont ils font l’objet ». Une base de données française menée sur des cohortes de 200 000 patients atteints de démence montre qu’entre 2010 et 2014, la prescription d’antipsychotiques a augmenté de 16 % malgré les recommandations et les signaux d’alarme. Raison invoquée : le manque de moyens et de ressources rend très difficile l’application des recommandations en pratique. Pourtant, une étude japonaise récente montre que la prescription de psychotropes ne soulage que peu les patients… et les soignants !

Parmi les antipsychotiques, un des plus efficaces serait l'aripiprazole, qui n’est pourtant pas le plus utilisé. La quiétapine pourrait aussi avoir un intérêt. Quant à l’olanzapine, son efficacité est probablement modeste. Il est inutile de les poursuivre au-delà de 2 semaines en l'absence de réponse. Il est indispensable de les réévaluer régulièrement, leur rapport bénéfice/risque étant souvent assez défavorable, en particulier sur le plan cardiovasculaire. Les recommandations HAS de 2018 les ont fait reculer en 2e ligne, après l'échec des antidépresseurs (AD) proposés en premier, en cas d’hallucinations ou de délires.

Un nouvel inhibiteur sérotoninergique, la pimavansérine, déjà testée dans la psychose parkinsonienne, a fait la preuve de sa forte efficacité sur les manifestations psychotiques de patients atteints de démence, et devrait avoir rapidement l’AMM.

Anxiolytiques, une mauvaise réputation imméritée ?

En cas d’anxiété chez un patient atteint de troubles cognitifs, on utilise actuellement avec beaucoup de réserve les benzodiazépines (BZD) en privilégiant celles finissant en « sta » (à demi-vie courte), une étude de 2015 ayant conclu que les anxiolytiques au long cours s’associaient à un surisque de démence, majoré pour ceux à demi-vie longue.

Des études récentes remettent en perspective ces pratiques. Une publication française de 2019 montre que les patients ayant pris des BZD accumulent moins de protéines amyloïdes dans le cerveau que ceux qui n’en ont pas utilisé, celles à demi-vie courte restant les plus favorables. « Les BZD ne sont donc pas forcément toxiques pour la charge amyloïde, et anxiolyser au long cours pourrait diminuer la neuroinflammation et favoriser un sommeil de meilleure qualité », conclut le spécialiste. D’autres anxiolytiques, comme l’étifoxine, sont inconstamment efficaces, mais lorsqu’ils le sont, ils constituent une bonne alternative avec un bon profil de tolérance. La HAS préconise, en cas d’anxiété mal tolérée au long cours, l’escitalopram à faible dose.

Devant une symptomatologie dépressive persistante, on propose en première intention des AD sérotoninergiques purs, éventuellement des AD mixtes comme la venlafaxine mais aussi la vortioxétine, la mirtazapine ou la miansérine, souvent proposées à visée hypnotique et généralement bien tolérées. Les tricycliques n’ont d’indication qu’en cas d'échec et les IMAO en tout dernier recours. Selon un travail récent, les AD seraient potentiellement efficaces sur tous les spectres de la dépression et de l’anxiété ainsi que sur les comportements perturbateurs fréquents dans la maladie d’Alzheimer.

Quid des anti-Alzheimer ?

L’étude Domino suggère par ailleurs que certains anti-Alzheimer pourraient avoir un intérêt chez ce type de patients. Ce travail indépendant de l’industrie montre en effet que le donépézil ou la mémantine ont un impact bénéfique sur les troubles du comportement, renforcé par l’association des deux, et pourraient réduire le recours aux antipsychotiques. S’ils sont bien tolérés – et que le patient accepte le surcoût –, il peut être intéressant de les maintenir.

On manque d’études sur d’autres molécules comme les thymorégulateurs. La carbamazépine serait efficace sur les troubles psycho-comportementaux associés à la démence mais ses interactions limitent sa prescription chez les sujets âgés. Le lithium serait bénéfique sur la cognition sous réserve d’une bonne fonction rénale. Les données sont également parcellaires concernant les hypnotiques. En cas de troubles du sommeil, il est conseillé de prescrire zolpidem et zopiclone à demi-dose, en sachant que l’insomnie rapportée est généralement surestimée par rapport à l’insomnie réellement constatée par les enregistrements.

Les approches non pharmacologiques – méditation de pleine conscience, musicothérapie, réalité virtuelle, serious game – commencent à montrer qu’elles ont un certain intérêt pour les patients et les aidants. La psychiatrie interventionnelle (électroconvulsivothérapie, stimulation magnétique transcrânienne, etc.) pour les troubles neurocognitifs est encore à un stade embryonnaire et des recherches sont indispensables.

En bref...

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Dr Maia Bovard-Gouffrant