L’HYPERSEXUALISATION envahit notre environnement. Les médias, la mode, Internet, la musique, les clips vidéo… Partout, les images à caractère sexuel se sont banalisées à tel point que la population développe un seuil de tolérance de plus en plus élevé face à ces images qui s’installent insidieusement dans leur quotidien. Fin 2010, la publication par le magazine Vogue de photos mettant en scène une fillette de 10 ans portant une tenue sexy et adoptant des postures lascives met le feu aux poudres. En mars dernier, le ministère des solidarités s’empare du phénomène d’hypersexualisation des jeunes filles en confiant à Chantal Jouanno (sénatrice UMP) un rapport sur ce thème*. De son côté, le centre d’analyse stratégique rédige une note d’analyse** sur l’hypersexualisation de l’espace public.
Si les experts s’accordent sur le fait que le phénomène -qui renvoie à la sexualisation des expressions, postures ou codes vestimentaires des enfants- concerne les filles de moins de 12 ans, sa définition fait débat. La psychologue québécoise Sylvie Richard-Bessette caractérise par exemple l’hypersexualisation des jeunes filles comme un « usage excessif de stratégies axées sur le corps dans le but de séduire ». Elle complète sa définition en y incluant « tous les comportements sexuels axés sur la génitalité et le plaisir de l’autre ». Cette corrélation entre hypersexualisation et pratiques sexuelles ne fait pourtant pas l’unanimité. Certains chercheurs comme le sociologue Philippe Liotard montrent que l’hypersexualisation du corps -chez les très jeunes filles- ne s’accompagne que rarement de passages à l’acte sexuel. Un fait que confirme le Dr Catherine Fohet, gynécologue à Toulon (en cabinet libéral et en centre de planification familiale) : « l’âge des premiers rapports (17,5 ans, en moyenne) ne s’est pas modifié au cours de ces dernières années. Et la plupart des jeunes filles hypersexualisées n’ont pas de sexualité pour autant. »
La sociologue française Corinne Destal estime pour sa part que l’hypersexualisation est « l’utilisation exagérée de signes sexuels ou érotiques ». Elle met en lumière le fait que ce phénomène touche de très jeunes filles qui n’ont pas la maturité psychique pour intégrer les signes sexuels qu’elles transmettent aux adultes. « Beaucoup de filles s’hypersexualisent ainsi pour être aimées (et non, pour séduire) car elles souffrent de carences affectives et/ou de déséquilibres familiaux. Mais elles ne se rendent pas compte des signaux sexuels qu’elles émettent », souligne le Dr Fohet.
L’intérêt de la prise en charge médicale.
« Ce climat hypersexualisé va provoquer chez certaines jeunes filles -plus fragiles que d’autres- des conduites à risques : troubles alimentaires (tels que la boulimie ou l’anorexie mentale), perte d’estime de soi, dépression, multiplication des partenaires sexuels à l’adolescence, toxicomanie… Ces filles en perte de repères sont souvent issues de familles dont le cadre structurant fait défaut. Dans le pire des cas, leur adhésion aux stéréotypes sexuels et sexistes véhiculés par la société et, notamment, par les films pornographiques (domination sexuelle de l’homme sur la femme, par exemple), fera d’elles -plus tard- des victimes de violences psychologiques, physiques ou sexuelles », affirme le Dr Fohet.
Face à l’hypersexualisation des jeunes filles, les médecins ont une vraie responsabilité. Ils doivent être sensibilisés à ce phénomène et repérer ces filles en consultation après un interrogatoire sur leur vie familiale, leur estime de soi, leur rapport au corps et aux stéréotypes sexuels transmis par la société. « Car un grand nombre d’entre elles éprouvent des angoisses liées à leur vie familiale ou à l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, de leur corps. Très souvent, ces angoisses se résolvent sans médicaments, grâce à l’écoute d’un psychiatre ou aux thérapies familiales. Le généraliste doit travailler en réseau et pouvoir aiguiller ces jeunes filles vers des spécialistes adéquats. En tant que gynécologue, je reçois ces patientes vers l’âge de 14 ans, lorsqu’elles commencent une sexualité active. J’essaie de les mettre en confiance, car elles sont souvent mal à l’aise face à l’adulte. Nous dialoguons sur leur environnement familial, éducatif et social, sur le comportement de leur partenaire. J’essaie de les faire réfléchir sur leurs prises de risques en insistant sur le respect de leur corps. Mon rôle est, avant tout, de mettre en confiance, d’écouter, d’informer pour que le message de prévention puisse être entendu. Je les sensibilise bien sûr à l’importance du préservatif et de la contraception », conclut le Dr Fohet.
* Contre l’hypersexualisation, un nouveau combat pour l’égalité, rapport parlementaire de Chantal Jouanno, 5 mars 2012.
**Hypersexualisation de l’espace public : comment protéger les enfants ? Marie-Pierre Hamel et Marie-Cécile Naves, Centre d’analyse stratégique département des questions sociales, (Note d’analyse 267 - Mars 2012).
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