LE QUOTIDIEN : Une IA pourrait recevoir le prix Nobel de médecine, prédisez-vous. Est-ce le scénario du fan de science-fiction ou une profonde conviction ?
Pr JEAN-EMMANUEL BIBAULT : Un peu les deux. Je m’intéresse effectivement beaucoup à la science-fiction dans ce qu’elle dit de notre société et des perspectives qu’elle ouvre. Je pense aussi que l’IA pourrait nous permettre, d’ici 10 à 15 ans, de comprendre certaines choses comme les mécanismes physiopathologiques de certaines maladies, par exemple. Et pourquoi pas, oui, emporter un voire plusieurs prix Nobel.
L’IA a déjà pris une place prépondérante dans plusieurs spécialités…
Oui, les deux spécialités les plus impactées sont la radiologie et l’anatomopathologie. Parce qu’elles reposent sur des tâches de perception ; l’IA est capable de faire une analyse de ce qu’elle regarde. De la même manière que le radiologue va établir un diagnostic à partir d’une radiographie, une IRM ou un scanner sur des critères acquis pendant ses études, ou les anatomopathologistes qui vont confirmer ou infirmer un diagnostic de cancer à partir de caractéristiques cellulaires sur des lames, un algorithme de deep learning va pouvoir analyser une image et donner une conclusion.
L’IA pourrait donner naissance à une médecine prédictive et plus personnalisée. Sommes-nous prêts ?
C’est une vraie question. Imaginons que l’on dispose d’une IA qui nous permettrait de prédire de façon quasi-certaine un diagnostic. Aurait-on les moyens d’en faire quelque chose sur le plan médical ? Ce n’est pas évident. Comment faire pour demander à quelqu’un de modifier son comportement car il risque de déclencher telle maladie ? Se pose aussi le sujet de l’acceptabilité par le patient.
Avec une telle place prise par l’IA dans le diagnostic, la prévention voire la prédiction, que reste-t-il aux médecins ? Y-a-t-il un risque de déclassement du métier ?
Ce qui est certain, c’est que la façon dont on exerce la médecine va être bouleversée. Maintenant, reste à voir de quelle façon et quelle sera la magnitude du changement. L’IA va être un outil comme le sont le stéthoscope, le scanner ou l’IRM… Elle va faire partie de l’arsenal thérapeutique du médecin, mais rien ne dit qu’elle remplacera le médecin. En toute honnêteté, il est extrêmement difficile de savoir comment les choses vont évoluer dans 30 ans ou plus. Mais il est possible que l’on assiste à une automatisation complète de certaines tâches.
Ces dernières semaines, ChatGPT, ou Bard pour Google, ont démontré leur capacité à répondre de façon argumentée et synthétique à des questions. Une IA pourra-t-elle mener un jour une consultation de A jusqu’à Z ?
Chat GPT a obtenu 60 % de bonnes réponses sur la partie écrite de l’examen américain pour devenir médecin (USMLE) sans avoir été entrainé avec des textes de manuels médicaux, c’est pas mal. L’avenir s’annonce vertigineux. Sur le plan de l’empathie, sera-t-on capable de créer des IA qui donnent l’impression d’avoir des émotions ? Il n’est pas impossible, tels les réplicants dans Blade Runner, que les IA apprennent à simuler les émotions et qu’elles soient meilleures qu’un humain fatigué par ses 50 consultations précédentes.
« 2041 : l’odyssée de la médecine – Comment l’intelligence artificielle bouleverse la médecine », aux éditions Equateurs, 204 pages, 19 euros
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