Les femmes, voilà plus de 30 ans que je les écoute et les accompagne. Que nous évoquons la question de l’enfant, qui vient trop tôt, trop tard, voire jamais ; le caractère impérieux de leur horloge biologique ou le conjoint idéal qu’elles n’en finissent pas d’attendre, quitte parfois à regretter l’époque des mariages arrangés ; leur couple homosexuel, qu’elles affichent avec de plus en plus d’aisance. Rares alors sont celles qui n’évoquent pas, au décours d’une consultation, la maternité qu’elles espèrent mais que la société leur refuse.
Est-ce une discrimination faite aux femmes ? Une entrave à leur droit de disposer de leur corps ? Avorter, procréer, même combat ? Si l’avortement reste un choix intime de la femme qui n’engage qu’elle, la reproduction en tant que libre disposition de soi implique les autres : médecins, donneurs ou société. Et surtout, un enfant à naître, à éduquer et à aimer.
Une demande fondée
J’y vois plutôt une exigence d’équité, d’autonomie. La société française a admis qu’il y avait différentes sortes de couples. Pourquoi le désir d’enfant d’un couple hétérosexuel serait-il plus légitime que celui d’un couple homosexuel ? Ces femmes n’ont pas choisi une sexualité plutôt qu’une autre, elles sont femmes et en capacité de porter un enfant. Dans l’intimité de la consultation, dans le dialogue singulier qui s’instaure entre nous, leur demande d’accéder à la maternité me semble fondée. Autoriser la PMA pour toutes mettrait fin aux discriminations et attitudes hypocrites.
Mais comme les membres du CCNE, je reconnais qu’il y a là quelques « butées », lesquelles ne devraient pas obstruer le chemin vers plus de liberté et d’égalité.
Interdire la PMA aux homosexuelles serait une discrimination
La première est la question du père et de l’importance de la différence des sexes dans la structuration psychique de l’enfant. « La psychanalyse n’a pas répondu à la question qu’est-ce qu’un père, mais elle peut dire les conséquences pour un sujet d’en avoir été privé » nous dit Jean-Pierre Winter, psychanalyste. S’agit-il de paternité génétique ? Il y a 30 ans, le professeur Georges David, créateur des CECOS, pensait qu’elle n’aurait plus d’importance et que seul compterait le père qui aime l’enfant. Cette idée est battue en brèche tant l’anonymat du don est questionné par les enfants issus d’insémination avec donneur (IAD), anonymat qui ne respecte pas les recommandations de la convention européenne des droits de l’homme (l’intérêt supérieur de l’enfant inclut le droit de connaître ses origines). Même problème pour les couples hétérosexuels ayant recours au don de sperme : « Si j’étais né d’un adultère avec le facteur cela aurait été plus simple ! » dit Arthur Kermalvezen dans « Né de spermatozoïde inconnu ». Pour les enfants issus d’un accouchement sous X et pour les enfants adoptés aussi. Il faudra donc se prononcer un jour sur l’anonymat pour toutes et tous !
Mais il y a heureusement des figures paternelles de substitution, frères, amis, parrains. Le professeur Sureau rappelait souvent que les orphelins de guerre vivaient avec un père qu’ils n’avaient jamais connu, simple photo sur la cheminée, mais dont la présence symbolique était puissante.
Les femmes seules ont la possibilité d’adopter depuis de nombreuses années malgré la plus grande vulnérabilité économique et psychique liée à leur solitude. Interdire la PMA aux homosexuelles serait donc une discrimination évidente.
J’ai choisi d’accompagner ces femmes
Autre butée, la rareté des gamètes. Mais toute tentative de hiérarchisation me semble impossible : une femme en couple souffre de son incapacité à procréer, que son couple soit hétéro ou homosexuel. Les pathologies liées aux trompes, à l’utérus, ou au sperme du conjoint de l’une ne me semblent pas plus nobles que la détresse de l’autre, c’est pourquoi, depuis plusieurs années, j’ai choisi d’accompagner ces femmes vers une procréation à l’étranger. Solution qui rappelle celle qui prévalait avant la légalisation de l’IVG et pose les mêmes questions de discrimination par l’argent. Ces femmes devront-elles payer leur PMA en France ? Parce que leur sexualité est différente, la sécurité sociale ne serait pas en mesure de leur donner les mêmes possibilités de gratuité que pour les autres couples ?
PMA, GPA, pas le même débat
Enfin, l’argument ultime : la PMA pour toutes conduirait inéluctablement à la GPA. Heureusement, le CCNE a tranché : « La technique d’IAD, contrairement à la GPA, ne comporte pas en tant que telle de violence à l’égard d’un tiers extérieur comme le prouve son autorisation pour les indications médicales ». Or la GPA reste interdite pour les couples hétérosexuels, ce qui évite pour l’instant un nouveau débat.
Mais de butée en butée, de doute en doute, je m’égare et perds le fil qui m’a toujours guidée : le lien profond avec mes patientes, qui lève mes inquiétudes et conforte mes choix. J’y retourne, et laisse aux scientifiques le soin de mener les travaux complémentaires indispensables dont l’absence rend les positions du CCNE plus fragiles.
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