Suspension des recherches sur les cellules souches

Les chercheurs agacés par les « succès » de la fondation Lejeune

Publié le 09/07/2015
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Crédit photo : PHANIE

« J’étais au courant de cette procédure, mais je ne pensais vraiment pas que le tribunal allait casser une décision ministérielle. C’est très grave ce qui vient de se passer ! » Le Professeur Samir Hamamah, responsable du département de biologie de la reproduction du CHU de Montpellier ne cache pas son agacement suite à la suspension de son autorisation de recherche sur l’identification des biomarqueurs impliqués dans la régulation des embryons préimplantatoires humains.

Avec 4 autres équipes, il a été contraint par le tribunal administratif de Paris de renoncer à son autorisation suite à une procédure initiée par la fondation Lejeune. Avec ses collègues, le Pr Hamamah cherche à identifier des marqueurs présents dans le milieu de culture des embryons obtenus in vitro, tels les brins d’ADN libres ou les micro ARN, susceptibles de renseigner sur les chances de succès de leurs implantations. « En France, nous n’avons pas le droit d’éliminer les embryons "mal fichus" sur le plan chromosomique. Nous devons donc trouver d’autres moyens de sélection, si possible sans toucher à l’embryon », explique-t-il.

La France en retard sur l’AMP

Pour le Pr Hamamah, la décision du tribunal est une très mauvaise nouvelle qui risque d’encourager le tourisme reproductif : « La France est très en retard. Malgré nos 80 000 cycles de fécondation par an, nous n’obtenons que 20 % d’implantations réussies quand les Américains affichent 40 à 60 %. L’activité d’AMP a été multipliée par cinq ses dernières années, et son coup de revient par 3,5 ! »

La Fondation Lejeune a obtenu gain de cause en arguant que le consentement éclairé des couples dont étaient issus les embryons n’avait pas été correctement obtenu. Le Pr Hamamah avoue son incompréhension : « L’information des parents est très contrôlée, précise-t-il. Au moment de procéder à la FIV, on leur demande s’ils souhaitent faire plus de deux ou trois fécondations, auxquels cas nous conservons les embryons supplémentaires pendant 5 ans. Ils reçoivent ensuite un courrier recommandé chaque année pour leur demander ce que nous devons en faire. Ils peuvent les récupérer, les céder à un autre couple ou les donner à la recherche. »

Près d’un tiers des autorisations attaquées en simultanée

À l’heure actuelle, 26 autorisations, sur les 90 accordées par l’agence de la biomédecine, font l’objet de procédures similaires, toutes initiées par la fondation Lejeune. Cela représente une charge de travail importante pour la direction juridique de l’Agence. Le laboratoire I-Stem a été la cible d’attaques similaires, au sujet d’un projet de recherche visant à modéliser la dystrophie musculaire facioscapulohumérale. Selon son directeur, le Pr Marc Peschanski, « l’agence, a une action très protectrice et a endossé toute la responsabilité, et je n’aurais même pas su que notre autorisation était attaquée si l’affaire n’avait pas été aussi médiatisée ».

L’affaire avait connu de nombreux rebondissements entre le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’État et n’a pas véritablement connu de dénouement, le laboratoire I-Stem ayant finalement pris la décision d’abandonner ce programme de recherche en juin 2008. « Il s’agissait de la première autorisation du genre accordée par l’agence de la biomédecine, se souvient le Pr Peschanski, nous ne voulions pas embarrasser l’agence. »

Une loi qui n’a pas changé grand-chose

Depuis février dernier, les équipes de recherche travaillant sur les cellules souches embryonnaires sont passées d’un système de dérogation à un système d’autorisation encadrée. Ce nouveau statut devait assurer une meilleure protection juridique aux équipes de recherche. Dans les faits, « cela n’a rien changé, estime le Pr Samir Hamamah, si ce n’est que l’on a arrêté de vivre dans l’hypocrisie ». Pour le Pr Peschanski aussi, « les demandes d’autorisation sont exactement les mêmes qu’avant mais, au moins, notre travail n’est plus considéré comme une transgression. »

Pour l’heure l’agence de la biomédecine n’est pas en mesure de s’exprimer sur la portée de cette décision : « nous devons d’abord analyser la décision rendue par le tribunal, nous explique-t-on, mais il est important de noter que ce n’est pas le bien fondé des recherches qui a été mis en cause mais bien une question de forme ». Une position partagée par le pr Alain Fischer, de l’Hôpital Necker-Enfants malades et président de l’institut Imagine, « dans le fond, cela reste un épiphénomène qui fait surtout perdre beaucoup temps aux chercheurs puisque c’est uniquement sur des aspects formels qu’ils obtiennent gain de cause. Ce qui va se passer maintenant, c’est que les équipes vont devenir beaucoup plus prudentes dans leur démarche pour que cela ne se reproduise plus. » À l’heure actuelle, il faut entre 18 et 24 mois pour obtenir une autorisation.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du Médecin: 9427