LE QUOTIDIEN : Comment qualifieriez-vous la crise actuelle ?
Pr JEAN-FRANÇOIS MATTEI : Ce n'est pas une crise, c'est une catastrophe sanitaire. Elle est certes sans précédent mais elle nous apprend que depuis les premiers cas de contagion et de quarantaine, qui remontent à Avicenne en l'an 1000, les comportements n'ont pas beaucoup changé.
Le gouvernement a-t-il pris les bonnes décisions ?
Dans ces conditions, le gouvernement a pris les bonnes mesures au bon moment. L'État a su graduer sa stratégie jusqu'à agir de façon radicale mais nécessaire, contrairement à la Grande-Bretagne et la Hollande. En revanche, il faudra entamer le moment venu une discussion sur la pénurie de masques et de tests. Une commission d'enquête devra comprendre comment nous nous sommes retrouvés dans une situation aussi compliquée. Il faudra tirer les leçons pour être suffisamment armés face à la prochaine épidémie.
S'il fallait changer quelque chose à la stratégie actuelle, ce serait quoi ?
Sans aucun doute distribuer en nombre suffisant des masques pour les soignants, les autres professionnels en contact avec du public, voire la population tout entière ; et s'appuyer sur les études expérimentales sur les traitements. On y arrive.
Le gouvernement ne doit surtout pas oublier d'inclure dans sa stratégie la relance économique. Ce serait stupide de guérir les Français du coronavirus puis de les empêcher de vivre du fait d'une économie défaillante et de l'indisponibilité de produits de première nécessité.
La capacité d'intervention du ministère de la santé en cas de crise s'est-elle améliorée ou dégradée ?
J'ai constaté un effet en dents de scie et un flottement dans la gestion des masques. L'épidémie du SRAS avait été assez bien gérée mais on nous a reproché, au moment de l'épisode malheureux de la canicule, de ne pas en avoir assez fait. Puis Roselyne Bachelot a multiplié les précautions lors du H1N1 en stockant masques et vaccins et on lui a reproché d'en avoir trop fait ! S'en est suivie une désorganisation des stocks au niveau du ministère de la Santé, de l'EPRUS [établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, dissous en 2016 ] et des établissements.
SRAS et canicule en 2003, légionellose en 2004… Avez-vous des satisfactions ou des regrets dans votre gestion des crises ?
Je suis médecin, j'ai bien entendu des regrets sur la gestion de cette canicule qui a engendré tant de morts. À l’époque, on n'envisageait pas le climat, la température, comme un enjeu sanitaire et social. Quand la chaleur est arrivée, j'avais beau m'égosiller au téléphone pour obtenir des informations, les tutelles et administrations sanitaires ne me remontaient rien. La canicule était beaucoup plus sérieuse que le Covid-19 en termes de mortalité et pour autant, un seul hôpital avait déclenché son plan blanc. Me concernant, les commissions d'enquête parlementaire n'ont jamais relevé de faute de gestion médicale. Au final, on m'a surtout reproché un entretien télévisé.
J'ai aussi le souvenir d'avoir pris des mesures marquantes, je crois, contre le SRAS et la légionellose. Je pense aux hôpitaux de proximité, aux professions intermédiaires et à la délégation de compétences, au plan investissement 2007 pour l'hôpital. Après le SRAS, c'est grâce à ce plan qu'on a enfin fait porter l'effort sur la sécurisation des malades.
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