Malgré son impréparation, la Belgique a évité le pire

Publié le 24/04/2020

Outre-Quiévrain, tout le monde convient qu'on a perdu du temps. Les acteurs de santé reprochent la lenteur de réaction du gouvernement, sur la disponibilité des masques notamment. Mais les hôpitaux ont tenu le coup.

La Belgique a peut-être tardé, mais n'a pas hésité ensuite pour contre-attaquer

La Belgique a peut-être tardé, mais n'a pas hésité ensuite pour contre-attaquer
Crédit photo : AFP

La mobilisation inédite des soignants belges, généralistes comme hospitaliers, a permis d’éviter la saturation des services de réanimation. Mais la situation dans les maisons de repos, où la mortalité est conséquente, est alarmante. « Même si la progression du virus ralentit, il faut poursuivre nos efforts ». Dans sa dernière allocution, le 15 avril, la Première ministre belge donne le ton. Si le plus dur semble en effet passé, la Belgique se réveille groggy de six semaines de crise sanitaire.

À l’instar de la France, les autorités belges se sont lancées tardivement dans la bataille. Symbole de ces atermoiements, la très décriée ministre de la Santé elle-même, qui qualifiait encore fin février les scientifiques lanceurs d’alerte de « drama queens » et les généralistes inquiets de « pleurnichards ». « Les premières semaines, le gouvernement a été dans le déni, on a perdu une dizaine de jours dans la lutte contre le virus », estime Philippe Devos, chef des soins intensifs au CHC de Liège et président de l'Association belge des syndicats médicaux (Absym). La réaction arrive réellement le 13 mars, avec le déclenchement du plan d’urgence hospitalier, et le début du confinement cinq jours plus tard.

Tri efficace

Malgré ce cafouillage, les hôpitaux ont tenu le coup. « Le plan blanc belge a bien fonctionné. Nous avons vidé les hôpitaux très rapidement pour anticiper l’afflux de malades », souligne le Dr Devos. « Résultat, nous n’avons jamais été débordés comme certains hôpitaux français ». La Belgique a atteint « sans difficulté » 130 % de ses capacités normales de réanimation et a doublé sa capacité de lits ventilables.

Une résilience permise notamment par un dispositif de tri efficace, organisé en deux pôles : les généralistes, d’abord, mobilisés comme jamais pour limiter l’ampleur de la vague ; et les centres de pré-tri, installés devant les services d’urgence d’une vingtaine d’hôpitaux dès la mi-mars et animés par des volontaires et secouristes.

Reste le grand fiasco du matériel de protection. « Masques, gants, blouses, La Belgique ne disposait d’aucun stock stratégique », enrage le docteur Paul De Munck, président du Groupement Belge des Omnipraticiens, syndicat de généralistes. Pire, en plein cœur de la crise, la presse révélait que plusieurs millions de FFP2, périmés, avaient été détruits en 2019… sans être remplacés. Quant aux tentatives d’achats de masques, elles se solderont par des échecs cuisants : une première livraison de Turquie annulée (il s’agissait d’une arnaque), une autre suspendue pour cause de conflit avec le fournisseur...

« La pénurie de masques, qui se poursuit, a eu trois conséquences : des infections croisées dans les hôpitaux ; une première ligne surexposée à la maladie et contrainte de passer à la téléconsultation ; et des contaminations multiples dans les maisons de repos », explique le Dr Philippe Devos.

« Soulagement et colère »

C’est dans ces dernières que la situation est la plus dramatique. Sur les 4 400 décès du Covid-19 dénombrés à la mi-avril en Belgique, 45 % sont issus des Ehpad belges (contre 50 % à l’hôpital). « La situation y est catastrophique, au point que l’on a dû appeler l’armée puis des généralistes et des hospitaliers à la rescousse », témoigne Paul De Munck. Selon les estimations, 14 % des soignants et 20 % des résidents y sont positifs au Covid-19.

« Chez les soignants, deux sentiments cohabitent : le soulagement d’avoir évité un scénario à la lombarde, et la colère devant les errements des autorités, qui nous ont envoyés au casse-pipe », résume le Dr Devos. D’autant que les pénuries se prolongent : les masques manquent toujours, les médicaments se raréfient, comme les sédatifs (propofol, midazolam,), même l’oxygène pourrait bientôt faire défaut. Quant au dépistage, il patine : il plafonnait encore à 4 000 tests quotidiens début avril, contre un objectif de 10 000 promis par les autorités.

Correspondance, Benjamin Leclercq

Source : Le Quotidien du médecin