La proposition de loi qui nous était proposée en débat à l’Assemblée nationale voici quelques semaines comportait en fait trois articles de loi : l’allongement du délai légal d’accès à l’IVG de 14 à 16 semaines d’aménorrhée, la suppression de la clause de conscience spécifique à l’IVG pour les professionnels de santé et l’ouverture du droit pour les sages-femmes de pratiquer les IVG chirurgicales jusqu’à 12 semaines d’aménorrhée.
Je me suis fortement opposé à ce texte pour de nombreuses raisons dont certaines de nature éthique. D’ailleurs, au moment où nous débattions de ce texte dans l’hémicycle nous ne disposions pas de l’avis du Conseil Consultatif National d’Éthique qui nous aurait sans doute été très utile. Lors des débats, le gouvernement nous a annoncé qu’il venait de le saisir et que l’avis sera disponible pour les futurs débats au Sénat.
Je pense, comme l’a d’ailleurs indiqué le CNGOF (Conseil National des Gynécologues-Obstétriciens de France) que cette loi ne va pas améliorer les droits des femmes dans notre pays mais les détériorer. En effet, en 2001, lors du précédent allongement de 12 à 14 semaines, 30 % des gynécologues avaient alors cessé de participer aux IVG. Allonger le délai de recours légal c’est donc risquer de provoquer une désaffection encore plus grande des professionnels de santé qui acceptent de pratiquer ces gestes.
Dangereux et choquant
En tant que parlementaire, je suis très sensible aux arguments du Conseil National de l’Ordre des Médecins qui s’est opposé à cet allongement du délai ainsi que du CNGOF, qui dénonce pertinemment une certaine forme d’indifférence de beaucoup de collègues parlementaires à la réalité de gestes qu’ils ne connaissent pas. Ainsi, le geste chirurgical d’IVG entre 14 et 16 semaines n’a rien à voir avec ce qu’il est à 14 semaines où l’on nous indique qu’une aspiration du contenu utérin suffit. Alors qu’à partir de 14 semaines, la longueur cranio-caudale est de 85 mm et le fœtus commence à sucer son pouce. À 16 semaines, cette longueur passe à 120 mm et la tête fœtale est désormais ossifiée : pour la faire sortir de l’utérus, il faut donc l’écraser avec une pince spéciale, geste de dilacération fœtale dont les experts nous disent qu’il est, non seulement dangereux, mais dont on peut comprendre qu’il puisse choquer beaucoup de praticiens qui se sont engagés professionnellement pour donner la vie et en sauver au maximum.
Par ailleurs, un sondage IFOP de début octobre 2020 indique que 92 % des Français considèrent qu’un avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ou encore que 88 % des Français sont favorables à une étude des causes et des conséquences de l’avortement pour favoriser la prévention. Si l’on met cela en perspective avec les chiffres de 232 000 avortements en France par an pour 753 000 naissances, soit une IVG. pour trois naissances, on voit bien qu’il faut agir en amont pour réduire l’occurrence de l’IVG. Comme l’ont par exemple fait nos voisins allemands avec d’importantes campagnes d’information et de prévention. Ils ont réussi à faire en sorte que, depuis 2014, le nombre d’avortements devienne inférieur à 100 000 par an alors que la population allemande est supérieure à la population française.
Les promoteurs de la proposition de loi nous disent que des femmes sont obligées d’aller avorter à l’étranger car elles ne peuvent pas le faire légalement en France au-delà de 14 semaines de grossesse. Ils nous disent que cela concernerait 4 000 femmes par an. Le ministre de la Santé nous a indiqué que le nombre était bien inférieur et qu’il concernerait en réalité 500 femmes par an. On peut aussi légitimement se poser la question de savoir si l’on ne peut pas mener de vraies campagnes d’information pour éviter que cela n’arrive dans le futur. Si cela concerne 500 femmes, cela ne devrait pas être inatteignable sans avoir à rallonger le délai.
Enfin, comme législateur, on cherche toujours à trouver un équilibre entre les différents droits à prendre en considération. Ici, il faut évidemment tenir compte du droit légitime des femmes à disposer librement de leur corps; de même, il faut permettre aux médecins et aux professionnels de santé de pouvoir librement faire valoir leur clause de conscience; et enfin, il faut aussi protéger le fœtus qui, ne l’oublions pas, est un être humain en devenir. C’est en prenant en compte l’ensemble de ces considérations, qu’en mon âme et conscience, je pense qu’il ne faut pas passer le délai légal de l’IVG de 14 à 16 semaines.
Exergue : Comme législateur, on cherche toujours à trouver un équilibre entre les différents droits à prendre en considération: celui des femmes, des médecins et aussi du foetus
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Pour un droit effectif à l'IVG
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