Le 7 juillet, l’Insee mettait en évidence « des différences marquées selon le pays de naissance » des patients dans la surmortalité liée à l’épidémie de Covid-19. « Toutes causes confondues, les décès en mars et avril 2020 de personnes nées à l’étranger ont augmenté de 48 % par rapport à la même période en 2019, contre + 22 % pour les décès de personnes nées en France », notait l’Institut.
Cette hausse différenciée des décès est la plus prononcée parmi les personnes nées hors de l’Union européenne : + 54 % pour les décès de personnes nées au Maghreb, + 114 % pour celles nées dans un autre pays d’Afrique et + 91 % pour celles nées en Asie. Le phénomène est particulièrement marqué en Île-de-France, et notamment en Seine-Saint-Denis. Dans ce département, le nombre de décès a crû de 95 % chez les personnes nées en France, de 191 % pour celles nées au Maghreb et de 368 % pour celles originaires d’un autre pays d’Afrique.
La densité urbaine des territoires concernés, la surreprésentation des personnes nées en Afrique parmi les « travailleurs clés », des lieux de résidence plus petits que la moyenne, des déplacements plus nombreux en transports en commun sont les causes avancées par l’Institut pour expliquer cette surmortalité.
Un cumul de facteurs liés au statut socio-économique
L’Observatoire régional de santé (ORS) d’Île-de-France (1) dressait un constat similaire mi-mai, associant la prévalence de la maladie et la surmortalité à un statut socio-économique. « Le cumul de l’ensemble de ces facteurs (urbanisation, densité, conditions de logements, caractéristiques démographiques et sociales des ménages, état de santé des populations et exposition professionnelle) rend les populations défavorisées plus susceptibles à la fois d’être contaminées par le Covid-19 et de développer une forme grave », s’alarmait alors, auprès du « Quotidien », Isabelle Grémy, directrice de l’ORS.
Aux États-Unis également, la surmortalité constatée chez les Noirs est expliquée par l’influence du statut socio-économique. Une des dernières études sur le sujet, publiée dans le « New England Journal of Medicine » (2), a analysé les différences des taux d’hospitalisation et de mortalité entre Blancs et Noirs parmi plus de 3 000 patients confirmés positifs au Covid-19 en Louisiane.
Parmi les 39,7 % de patients hospitalisés, 76,9 % étaient des patients Noirs. Ces derniers représentaient par ailleurs 70,6 % des patients décédés du panel, alors qu’ils ne composent que 31 % de la population locale. Après ajustement des données selon le statut socio-démographique et les caractéristiques cliniques, les auteurs n’ont pas trouvé d’association significative entre la couleur de peau et la mortalité.
Leur analyse ne permet pourtant pas de savoir si la fréquence des facteurs de risque cliniques chez les Noirs est entièrement expliquée par leur statut socio-économique. C’est une limite soulevée par la Dr Estelle Carde, médecin de santé publique et professeure de sociologie à l’université de Montréal (Canada). « Il est important de voir s’il reste un écart après ajustement des données sur le statut économique. Autrement dit, est-ce que le fait d’être Noir va affecter la santé autrement qu’en les appauvrissant matériellement ? », interroge-t-elle.
Les conséquences d'un parcours de discriminations
Les données britanniques de l’Office for National Statistics (ONS), publiées mi-juin, apportent un éclairage : à statuts économiques égaux, les hommes Noirs avaient deux fois plus de risque de décéder du Covid-19 que les Blancs, les hommes originaires du sous-continent indien (Bangladesh, Inde, Pakistan) avaient entre 1,5 et 1,6 fois plus de risques.
Ces écarts peuvent être la trace, selon la Dr Estelle Carde, de l’impact des discriminations raciales sur la santé. « Des études permettent de penser que le racisme affecte la santé des individus en les rendant plus malades, pas seulement parce qu’ils sont plus pauvres, mais aussi par le stress ressenti à chaque discrimination, analyse-t-elle. Ce stress répété prédispose le corps à des maladies chroniques. Les Noirs sont ainsi plus souvent hypertendus et atteints de maladies respiratoires chroniques, même à statut socio-économique équivalent à celui des Blancs ».
Le concept de charge allostatique permet d’identifier, dans des indicateurs biologiques, les conséquences négatives et cumulatives du stress sur l’organisme. Dans une note sur le Covid-19 et les minorités ethniques, le Centre de contrôle et de prévention des maladies des États-Unis (CDC) rappelle les conditions matérielles qui rendent les minorités plus vulnérables face à la maladie, mais aussi que « le racisme, le stigmate et les inégalités systémiques sapent les efforts de prévention, augmentent les niveaux de stress chronique et toxique et, finalement, maintiennent les inégalités en matière de santé et de soins ».
La Dr Estelle Carde plaide en faveur d’une collecte de données qui inclut les catégories ethniques, seule option pour comprendre pourquoi, après ajustement sur le niveau de pauvreté, les minorités ethniques restent plus vulnérables. « Les statistiques ethniques, combinées aux statistiques socio-économiques sont la clé pour analyser l’impact sur la santé du stress induit par les discriminations ethniques », estime-t-elle.
Cette approche est soutenue dans un éditorial du « New England Journal of Medicine » (3), dans lequel les auteurs invitent également à collecter des données les plus complètes possible. « Lorsque le statut socio-économique est contrôlé et n'explique pas toutes les disparités raciales de Covid-19, nous devons clairement expliquer pourquoi. Une explication possible est le rôle du stress et du vieillissement avancé causé par l'usure corporelle résultant des réactions de lutte ou de fuite aux facteurs de stress externes, en particulier la discrimination raciale », écrivent les auteurs. Cette approche est « cruciale » pour « obtenir une image extrêmement précise de la façon dont la vulnérabilité est distribuée ».
(1) Mangeney et al., 2020
(2) Eboni G et al., NEJM, Juin 2020. DOI: 10.1056/NEJMsa2011686
(3) Merlin Chowkwanyun et al., NEJM, Mai 2020. DOI: 10.1056/NEJMp2012910
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