La manipulation du vivant n’est pas sans poser des questions difficiles d’éthique et de biosécurité. Dans son rapport de 2012 sur la biologie de synthèse, la députée Geneviève Fioraso faisait état des risques potentiels de tels outils dans les mains « de biologistes de garage », c’est-à-dire « aux amateurs (…) en dehors des laboratoires publics ou privés ». L’ONG canadienne ETC avait ainsi estimé que la biologie de synthèse était « de nature à renforcer le risque de guerre ou d’attentat bactériologique ». La Commission présidentielle américaine et le groupe européen d’éthique se sont inquiétés, quant à eux, du risque de dissémination des micro-organismes dans l’environnement.
Les recherches sur un virus H5N1 muté artificiel est un exemple parlant des craintes que peut soulever la biologie de synthèse. Plusieurs travaux consistant à manipuler la dangerosité du virus grippal avaire ont périodiquement alimenté de vives polémiques. En novembre 2011, deux équipes indépendantes, l’une américaine (Yoshiro Kawaoka) et l’autre néerlandaise (Ron Fouchier), avaient mis en évidence des mutations susceptibles de faciliter la transmission du virus. La parution était prévue respectivement dans «Nature» et «Science». Devant l’ampleur des débats suscités quant au risque de bioterrorisme, l’Agence américaine de biosécurité, la NSABB (The National Science Advisory Board for Biosecurity) suivie d’un comité technique de l’OMS composé de 22 experts internationaux avaient obtenu une suspension de publication qui a duré plus d’un an, jusqu’au printemps 2012. Il a fallu quarante chercheurs originaires de 12 pays différents pour que soit officiellement levé le moratoire dans une annonce publiée conjointement dans les deux revues. Les scientifiques avaient alors indiqué que les bénéfices d’une telle recherche dépassait les risques et que poursuivre la recherche « est essentiel pour se préparer à faire face à une nouvelle pandémie ».
Deuxième acte en mai 2013, des chercheurs chinois ont relancé le débat en créant un virus hybride de grippe aviaire H5N1 et de la pandémie H1N1, capable d’être transmis aux mammifères. Le virologue Simon Wain-Hobson de l’Institut Pasteur avait estimé alors qu’« il pourrait s’agir de virus pandémiques. Autrement dit, si quelqu’un commettait une erreur, ou qu’il y ait une fuite ou quelque chose de ce genre, le virus pourrait contaminer les gens et provoquer entre 100000 et 100 millions de morts ». Si pour lui, l’intérêt scientifique ne se justifiait pas en regard des risques potentiels, ce n’était pas l’avis de John Oxford, virologue à l’Université Queen Mary de Londres. Pour ce dernier, ce virus OGM démontrait que les deux souches de grippe peuvent effectivement échanger des gènes et représenter une menace. « Tôt ou tard, un individu sera infecté par les deux souches, c’est statistique ».
Les échanges sont vifs et controversés, y compris au sein de la communauté scientifique. Qui plus est, comme le soulignent des sociologues, « soumis à une compétition internationale intense, les biologistes n’ont en pratique que peu de temps à consacrer à une réflexion sur leur discipline ». Comment la société peut-elle assurer les garanties nécessaires et suffisantes à une recherche éthiquement acceptable ? Le rapport de Geneviève Fioraso, rappelant que « les Etats ne souhaitent instaurer ni réglementation ni moratoire », recommandait qu’un cadre international « justifié par le caractère transfontières » soit mis en place pour « l’évaluation et la régulation des risques identifiés ». L’OPECST (Office Parlementaire d’Evaluation des Choix scientifiques et technologiques) pourrait procéder à des missions d’évaluation de maîtrise des risques.
En mai dernier à Gênes, à l’initiative du français Philippe Marlière, chercheur à l’ISSB du Génopôle d’Évry, s’est tenue la première conférence sur la xénobiologie, cette sous-discipline de la biologie de synthèse qui vise à mettre au point des formes de vie étrangère totalement artificielle. Les questions de sécurité et d’éthique étaient au cœur des discussions. La biologie de synthèse, en bousculant la notion du vivant et en repoussant les limites, ne fait que commencer à interroger sur le pouvoir à donner à la main de l’Homme dans la modification de son environnement.
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