« NOUS NE FAISONS pas une médecine éthique », avouait, en février dernier, le Pr René Frydman alors qu’il annonçait la naissance, en France, du premier bébé du double espoir à l’hôpital Antoine-Béclère (AP-HP). Cette provocation ne visait évidemment pas la technique grâce à laquelle cet enfant est né, le double diagnostic pré-implantatoire (DPI-HLA), qui lui permet non seulement d’être indemne d’une maladie génétique grave et incurable mais également de guérir son frère ou sa sœur aînée, par le biais d’une greffe de cellules souches du sang de cordon. Ce que le gynécologue-obstétricien (chef du pôle Femme-couple-embryon-enfant de l’hôpital) voulait dénoncer, c’est l’attente imposée aux couples demandeurs (18 mois), « faute de moyens et de reconnaissance » de l’assistance médicale à la procréation (AMP). Le choix des mots était risqué quand, au même moment, les parlementaires s’apprêtaient à discuter de la révision de la loi bioéthique. Car les menaces pesant sur l’activité, sous couvert d’éthique, sont nombreuses. Et, en l’occurrence, sur le recours au DPI-HLA, pourtant autorisé par la loi de bioéthique de 2004 (avec un décret d’application paru en 2006) et sauvé in extremis dans l’actuel projet de loi, tel que voté par les parlementaires le 15 février dernier. « Réveillez-vous ! C’est le double espoir ! C’est ça l’humanisme ! », s’emportait le député Bernard Debré dans l’hémicycle. Les avancées législatives sont non seulement difficiles à obtenir mais également à conserver.
Demandes en hausse.
Le Pr Renato Fanchin, responsable de l’unité AMP à Béclère, reconnaît faire difficilement face à l’augmentation des demandes de couples qu’il reçoit. « On estime qu’un couple sur 6 ou 7 est concerné par des difficultés de reproduction. Environ 5 % d’entre eux relèvent d’un traitement. Nous répondons à un besoin d’aide : l’infertilité est une vraie souffrance. Il ne s’agit pas d’une médecine cosmétique mais bien de la prise en charge d’une maladie », indique-t-il.
« Depuis un an et demi, on se renseigne sur la procréation médicalement assistée. Nous commençons à en parler autour de nous et en fait, on s’est rendu compte que nous n’étions pas tout seuls », témoigne cette patiente de 33 ans qui vient d’arrêter de fumer pour se donner plus de chance. En moyenne, entre 25 000 à 30 000 couples s’adressent à un centre d’AMP chaque année et plus de 20 000 enfants naissent grâce à l’AMP, soit 2,4 % de l’ensemble des naissances, d’après les derniers chiffres de l’Agence de la biomédecine. « L’aide médicale est de plus en plus efficace » se félicite le Pr Fanchin. « À Béclère, où le dynamisme des équipes tente de pallier le manque de moyens, le taux de grossesse clinique est de 45 à 48 % après fécondation in vitro. Mais la médecine de la reproduction souffre également d’un manque de lisibilité au niveau universitaire et n’est toujours pas reconnue comme une filière à part entière de l’INSERM. Je me bats pour avoir un poste supplémentaire afin de poursuivre une recherche sur la folliculogenèse in vivo qui permettrait de préserver la fertilité féminine. La médecine de la reproduction est une spécialité où la recherche est très imbriquée. » À cela s’ajoutent les barrières administratives et législatives auxquelles les chercheurs sont confrontés.
Technique et loi.
En médiatisant la naissance des jumeaux Jérémy et Keren, obtenue après congélation (lente) d’ovocytes, le Pr Frydman mettait le doigt, une nouvelle fois, sur « une situation éthiquement pas acceptable ». Pourquoi interdire aux couples français de bénéficier d’une technique plus performante, celle de la vitrification ou congélation ultrarapide, laquelle a permis la naissance de plusieurs centaines d’enfants dans le monde ? Parce que toute innovation thérapeutique sur les gamètes et les embryons est assimilée par la loi à une recherche sur l’embryon, par principe interdite. Une situation tellement paradoxale que la vitrification a été, dans le projet de loi de bioéthique, intégrée dans la liste des procédés utilisables pour l’AMP, fixée par un arrêté ministériel. Toutefois « il est surprenant qu’une technique biomédicale (qui de plus n’est qu’une technique parmi d’autres) soit autorisée par voie législative », commente l’Académie nationale de médecine dans un récent avis (rapport Jouannet du 29 mars). Et de militer pour l’autorisation d’une recherche qui distinguerait celles sans bénéfice pour l’embryon (comme les recherches sur les cellules souches embryonnaires) de celles « bénéficiant à la connaissance et à la prise en charge de la période embryonnaire ». Dans ce cadre, les recherches « avec bénéfice direct pour l’embryon », similaires aux recherches cliniques pourraient être suivies d’un transfert dans l’utérus, propose l’Académie.
Favoriser le don.
Autre problème : le don d’ovocytes. Face à cette femme de 43 ans, qui vient consulter pour la première fois, le Pr Renato Fanchin choisit ses mots. En couple depuis 2002 et après deux fausses couches en 2007 puis en 2009, elle a finalement entrepris un bilan de fertilité qui démontre une mutation génétique. Le praticien tempère : « La mutation du facteur V Leiden est quelque chose que l’on peut prendre en charge. Mais l’âge est un autre facteur. Les chances de conception féminine sont très diminuées et l’on ne peut pas restaurer la fonction ovarienne. Au-delà de 42 ans, nous n’entreprenons pas de traitement car le risque lié à la stimulation ovarienne dépasse le bénéfice », explique-t-il en lui parlant toutefois de la possibilité du don d’ovocyte. « Ça n’est pas interdit en France ? », s’étonne-t-elle. « On a tout fait pour le décourager mais il est légal. Une telle demande serait illusoire en France mais vous pouvez à l’étranger, d’autant que la Sécurité sociale prend en charge une partie des frais. »
Face à la pénurie d’ovocytes, les députés avaient décidé d’assouplir les règles en ouvrant le don aux femmes sans enfant et en leur permettant de conserver leurs gamètes en vue d’une utilisation personnelle ultérieure (en dehors de tout contexte pathologique). Mais pour beaucoup de professionnels, cette mesure est insuffisante. « Il serait préférable d’allouer aux centres autorisés les moyens nécessaires à un accueil et à une prise en charge satisfaisante » des donneuses, estime l’Académie de médecine, qui appelle également à développer des « campagnes plus vigoureuses d’informations et de sensibilisation au don de gamète ».
De nombreux champs peuvent donc être ouverts par le législateur pour renforcer la médecine de la reproduction. Les professionnels demandent pour le moins qu’on leur donne les moyens d’être ambitieux au nom des couples, de plus en plus nombreux, qui font appel à eux.
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