QUI DIT REFUS de soin évoque immédiatement un médecin qui claque la porte au nez d’un patient bénéficiaire de la couverture maladie universelle. « En réalité, il n’y a pas besoin d’avoir la CMU pour se voir opposer un refus de soins », rectifie Stéphane Brissy, maître de conférence à l’université de Nantes, coauteur avec Anne Laude et Didier tabuteau, directeurs de l’Institut Droit et Santé de l’université Paris-Descartes, d’un ouvrage sur le sujet*. Le refus de soin est bien plus complexe. Et sa condamnation, comme le prouvent les décisions des tribunaux et Conseils ordinaux épluchées par les universitaires, est tout sauf évidente. Une typologie du refus de soins s’impose : tous les médecins ne disent pas « non » de la même façon. Certains refus sont explicites, lorsqu’un médecin de garde renonce à se rendre aux urgences alors que l’état d’un patient le justifie. D’autres sont implicites : un professionnel ne redirige pas son patient vers un confrère plus compétent, impose des dépassements d’honoraires rédhibitoires, ou dispense des soins de mauvaise qualité.
De même, tous les refus de soins ne sont pas illégitimes ni illicites. Le médecin a le droit** d’émettre un refus « en raison du comportement du patient, ou pour des raisons de sécurité, par exemple lorsque des infirmières doivent traverser des zones de détention à risque sans dispositif adéquat », illustre Stéphane Brissy. Lorsqu’une prise en charge outrepasse les compétences d’un professionnel, ce dernier a même l’obligation*** de refuser, sauf dans des situations d’urgence où le devoir de porter secours à personne en danger prime.
Éclatement juridique.
« L’encadrement législatif du refus de soins est éclaté entre code pénal et code de la santé et il n’est pas fondé sur un droit des patients, mais sur les droits et obligations pour un médecin de refuser les soins », résume Stéphane Brissy. Première conséquence de cet éparpillement, les médecins ne sont presque jamais sanctionnés pour discrimination. « C’est extrêmement difficile pour les patients, souvent en état de faiblesse physique ou morale, d’apporter des preuves », avance l’universitaire. En outre, les testings permettant de prouver une discrimination sont autorisés uniquement dans le code pénal ; or celui-ci ne prend pas en compte, comme le fait le code de santé publique, la discrimination liée à la CMU. « L’évolution juridique, liée à la loi HPST, est décevante », juge Stéphane Brissy.
Les médecins tombent en revanche sous le coup de la justice lorsqu’ils manquent à leur obligation dans des situations d’urgence. « La jurisprudence montre qu’on sanctionne les médecins qui ne sont pas attentionnés, ne se renseignent pas assez sur les symptômes du patient et manquent d’un certain humanisme médical », souligne le juriste. Les professionnels peuvent également être reconnus coupables d’une rupture de soins. « En octobre 2011, la cour de cassation a condamné un médecin qui suivait un diabétique non observant avec risque de rétinopathie. Le risque devient réalité. Le patient demande à être reçu en urgence. Le médecin refuse en invoquant une surcharge de travail. Le patient, contraint de se tourner vers un autre professionnel est opéré tardivement et garde des séquelles : la cour a estimé que le médecin connaissait l’urgence et le risque et qu’il avait manqué à l’obligation dans la continuité des soins », raconte Stéphane Brissy. En cas de défaut de continuité des soins, rares sont alors les motifs jugés recevables : mésentente avec le malade ou les confrères, les juridictions n’y voient aucune légitimité.
Le rôle des associations
Face à l’éclatement juridique qui entoure le refus de soins, la constitution d’un régime juridique fondé sur le droit d’accès aux soins des patients, et plus seulement sur les droits et obligations des médecins pourrait-il conduire à une unification ? C’est peu probable. En revanche, donner plus de poids aux associations, afin qu’elles puissent saisir la justice en cas de discrimination, serait prometteur, estime Stéphane Brissy. Un écho à une deuxième loi des patients qui renforcerait le rôle des associations et développerait les droits sociaux.
*Refus de soins et actualités sur les droits des malades. Sous la direction de Stéphane Brissy, Anne Laude, et Didier Tabuteau, observatoire des droits et responsabilités des personnes en santé, Presses de l’EHESP, 139 p, 22 euros.
**« Hors le cas d’urgence et celui où il manquerait à ses devoirs d’humanité, un médecin a le droit de refuser ses soins pour des raisons professionnelles ou personnelles », Code de santé publique, article R.4127-47, alinéa 2.
***« le Médecine ne doit pas, sauf circonstances exceptionnelles, entreprendre ou poursuivre des soins, ni formuler des prescriptions dans des domaines qui dépassent ses connaissances, son expérience et les moyens dont il dispose », CSP, article R.4127-70.
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