Le point de vue des Drs Philippe Marissal* et Renaud Marin la Meslée**

Financement, formation, valorisation : les pouvoirs publics doivent agir

Publié le 01/03/2018
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Pour sortir de la crise de Ehpad, il faut actionner à la fois plusieurs leviers. Et d’abord le financement : l’État doit arrêter de ponctionner chaque année des centaines de millions d’euros sur le budget de la CNSA pour les distribuer à d’autres qu’aux personnes âgées et handicapées. Ce budget retrouvé permettra : le versement des dotations de soins à 100 %, l’augmentation de ces dotations pour au moins suivre l’inflation et l’amélioration de la rémunération des agents et des soignants. Ainsi les EHPAD pourront-ils se mettre en conformité avec les engagements de l’État, en embauchant agents et soignants, en les rémunérant décemment, pour parvenir enfin au ratio décidé par le plan solidarité grand âge il y a… dix ans.

Valoriser les professionnels, mais aussi les familles et les résidents

Ensuite, il est nécessaire de mettre l'accent sur la formation. Toutes celles et ceux qui travaillent au service des personnes âgées doivent bénéficier d’une formation spécifique, initiale comme continue. Et cette formation ne doit pas se cantonner au triptyque « toilette – alimentation – élimination ». Tout en incluant une dimension relationnelle bientraitante et bienveillante, elle ne doit pas servir de cache-misère. Madame Buzyn, ce dont souffrent les résidents des EHPAD, ce n’est pas d’un manque de formation des soignants à la bientraitance, mais bien plutôt d’un manque de considération de l’État ! Et dans les lieux de vie que doivent être les EHPAD, il faut permettre aux personnels de développer leur créativité en matière d’animation : pour ce faire, ils doivent être suffisamment formés, et suffisamment nombreux.

La formation ne concerne pas que les agents de service et les paramédicaux ; il est urgent que la gériatrie soit mieux enseignée à tous les futurs médecins, et qu’ils puissent à l’occasion d’un stage découvrir les réalités de l’EHPAD. Il est tout aussi essentiel que les médecins coordonnateurs d’EHPAD puissent continuer à accéder à cette fonction après plusieurs années d’exercice libéral grâce à la formation continue.

Enfin, il importe d'agir sur la valorisation. Valorisation des professionnels, évidemment : la DREES, en septembre 2016, le rapport Iborra, en septembre 2017, ont mis en exergue l’engagement majeur des professionnels des EHPAD. La compétence formidable, l’extraordinaire motivation de la majorité des soignants en poste doivent être valorisées, non seulement au sens économique mais aussi auprès du grand public.

Pourquoi pas, un "trophée des Ehpad" ?

Cette reconnaissance pourrait passer par la télévision : un « trophée des EHPAD » diffusé sur une chaîne nationale, à une heure de grande écoute, mettrait en évidence les réussites et non pas, comme savent si bien le faire les médias, les seuls dysfonctionnements. En offrant aux soignants la possibilité de dire leur fierté de travailler à améliorer la vie des personnes âgées, une telle manifestation permettrait de combattre les représentations négatives des EHPAD.

Montrons à l’ensemble de la population française que ceux qui aident, prennent soin des plus âgés, des plus vulnérables de nos concitoyens sont des gens de grande valeur qui méritent reconnaissance et respect. N’oublions pas dans cette nécessaire reconnaissance les médecins ! Quand l’État a fermé la gare, la perception, la poste et l’école, il reste souvent le médecin… Facilitons-lui la tâche en EHPAD ! Ne l’ensevelissons-pas sous des amas de règlements inutiles, et honorons correctement le surcroît de travail occasionné par la complexité des pathologies des résidents. 

Valorisation des familles, également : trop souvent, les salariés (et les directeurs…) des EHPAD voient les familles comme une menace. Il est temps de changer de regard, et de les considérer comme de précieux atouts dans la connaissance du résident. Tout ce que les familles ont vécu, avant de décider de confier à l’EHPAD leur proche âgé, ne peut pas être négligé ; bien souvent les « trucs et astuces» qu’elles ont trouvé pour améliorer la vie de leur parent pourraient aider les personnels dans la prise en soin. Et associer la famille aux aides, aux soins de confort, n’est-ce pas un bon moyen de lui donner confiance dans la capacité des équipes à respecter leur parent.

La valorisation des résidents est par ailleurs un point crucial, trop souvent occulté. Au motif qu’ils relèvent d’un EHPAD, donc qu’ils sont atteints de dépendance, leur autonomie est parfois niée. La confusion entre ces deux concepts est très préjudiciable à la personne âgée, qui se sent légitimement ignorée dans nombre de décisions la concernant, à commencer par l’entrée en EHPAD. C’est à la société de prendre conscience de cette situation, et d’arrêter de dire aux personnes âgées qui vivent durement leur sort : « vous ne pouvez pas vous débrouiller seul, donc nous allons décider pour vous ».

Financement, formation, valorisation : ce sera l’honneur de ce gouvernement de les mettre en place sans délai ; ce serait sa honte de ne pas le faire.


* Dr Philippe Marissal (Artemare, 01), président de la Fédération des Soins Primaires (FSP)
** Dr Renaud Marin la Meslée (St Martin-de-Seignanx, 40), président du Syndicat national des généralistes et gériatres Intervenant en Ehpad (SNGIE)

 


Source : Le Quotidien du médecin: 9644