IL EST L’UN des rares médecins français à exercer en Irlande. Diplômé d’oncologie à Paris V en 1996, Pierre Thirion a été recruté en 1999 à l’hôpital Saint Luke’s de Dublin. « J’ai fait le choix de suivre ma femme, fonctionnaire européenne, confie le Dr Thirion. J’ai décroché un poste de praticien junior et après 4 ans, j’ai obtenu un poste de consultant remplaçant dans une consultation périphérique dans l’Ouest. » En 2005, le radiothérapeute obtient enfin un poste de « consultant », le plus haut statut hospitalier en Irlande. Le contrat du Français l’oblige à travailler au moins 33 heures par semaine pour le service public mais lui laisse la possibilité d’avoir une pratique privée « sans limite géographique ni de temps ». Le praticien exerce une journée par semaine dans l’hôpital de Beacon, un « hôpital privé irlandais géré par des Américains ». « Mais c’est beaucoup plus compliqué que cela s’amuse le Dr Thirion, puisque j’assure aussi une activité publique au sein de cet établissement privé. » En Irlande, difficile de séparer le public du privé. Les autorités veulent clarifier le système. Les nouveaux contrats prévoient que les praticiens des hôpitaux publics peuvent exercer une activité privée de 20 % dans leur établissement mais pas dans d’autres. « Depuis quelques années, le système s’est beaucoup privatisé, observe Pierre Thirion. Le marché des mutuelles s’est développé et on a vu apparaître des hôpitaux privés dans des domaines comme la radiologie, la chirurgie et la radiothérapie. » Mais avec la crise et la brusque montée du chômage, la donne a changé. « Beaucoup de gens ont perdu leur assurance privée et je retrouve certains patients que je voyais en consultation privée en consultation publique. »
Une « super réduction » de salaire.
Depuis deux ans, le praticien a subi selon ses propres termes une « super réduction » de son salaire de l’ordre de 20 % sur deux ans mais aussi une baisse de ses revenus provenant du secteur privé. Pour autant, il s’estime encore très privilégié avec 140 000 euros bruts par an. « 25 % de taxes sont prélevées à la source mais nous n’avons pas d’impôts sur le revenu ni d’impôts locaux », commente le Dr Thirion. Le médecin dit en revanche ne pas compter ses heures et recevoir environ 500 nouveaux patients par an. Le plan d’économie appliqué à la santé n’a pas affecté outre mesure son travail. « Nous n’avons pas eu de consigne pour diminuer notre nombre d’actes ou limiter nos prescriptions, poursuit le radiothérapeute. Nous suivons les recommandations de l’evidence based medecine et ne faisons pas d’examens superflus. »
Les médecins ne sont pas les plus à plaindre. La crise économique fait trinquer « la classe intermédiaire », commente le Français. Depuis deux ans, les infirmières qui partent ne sont pas remplacées. Dans les couloirs du Saint Luke’s hospital, Mary confirme les difficultés de son service pour effectuer à 5 le travail de 8 infirmières. « On sent la pression, dit-elle. Nous ne pouvons plus donner les mêmes soins aux patients. »
En ces temps difficiles, le médecin se dit fasciné par la solidarité irlandaise. Une solidarité omniprésente à l’hôpital. Il suffit pour s’en rendre compte de voir le rôle tenu par les associations caritatives au sein des hôpitaux. La confrérie des « Amis de Saint Luke’s » dispose d’un bureau dans l’hôpital. Chaque année, elle organise sorties culturelles, dîners, vente de charité, tournoi de golf, marathon… Les recettes ont permis à l’association de financer deux appareils de radiothérapie.
Le Dr Thirion s’est parfaitement acclimaté à la vie irlandaise. Crise ou non, il ne semble pas disposé à rentrer en France. « Avec ma famille, on se sent bien ici », conclut-il.
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