LE QUOTIDIEN : Quand vous êtes arrivé à la DGS, on a beaucoup dit que l’État avait surréagi à l’épidémie du virus H1N1 ; vous-même, quelle leçon avez-vous tirée de cette crise ?
Dr JEAN-YVES GRAL : Nous devons tous avoir en tête que, particulièrement dans les maladies infectieuses avec un virus émergent comme ce fut le cas pour H1N1 ou ici pour le Covid19, les autorités doivent faire avec un certain nombre d’inconnues ; ainsi, le virus de la grippe H1N1 arrivait-il, pour la première fois, non pas d’Asie, mais du Mexique, non pas en période hivernale mais fin avril. Le virus du Covid-19 peut, quant à lui, laisser des personnes totalement asymptomatiques, et l’on apprendra plusieurs semaines après son apparition qu’un malade semble être contagieux plusieurs jours avant de développer des symptômes. Les autorités doivent pourtant, avec l’avis des scientifiques, anticiper au maximum sur les mesures de gestion à prendre et les ajuster au fur et à mesure des connaissances. Évidemment, on pourra toujours dire après coup, qu’elles auraient pu faire autrement.
Cela dit, j’ai tiré de cette crise quatre leçons principales : l’importance de la communication de crise et de la transparence nécessaire sont apparues fondamentales vis-à-vis de la population, d’autant plus depuis l’avènement de la frénésie médiatique, accentuée par le développement des chaînes d’info en continu et l’utilisation massive des réseaux sociaux qui, au-delà d’informer, diffusent rumeurs et « fake news », qui complexifient la gestion de crise. On peut donc regretter l’emballement et les approximations qui l’accompagnent, mais il faut être pragmatique et s’adapter en prenant en compte ces paramètres. La nécessité de recueil et d’analyse de données fiables et robustes (épidémiologiques notamment mais pas uniquement), permettant d’orienter des actions de gestion réactives et une ligne de commandement clairement identifiée, sont aussi apparus parmi les pistes à conforter. Ainsi que la coordination de l’ensemble des acteurs sur le territoire là où la gestion d’une crise sanitaire se retrouve au cœur des enjeux qui la dépasse également : enjeux économiques, sociaux, diplomatiques. C’est le rôle aujourd’hui des Agences régionales de santé. Enfin, la coopération européenne et mondiale parait indispensable : les innombrables déplacements quotidiens entre tous les pays du monde fédèrent, de fait, les effets et les conséquences d’un virus émergent sur toute la planète et cela, en quelques semaines seulement.
Au-delà de H1N1, comment notre système de sécurité sanitaire a-t-il tiré les leçons ? A-t-il été apprenant ?
À chaque « crise sanitaire » nous apprenons; et les enseignements tirés permettent d’améliorer et de renforcer constamment notre réponse. De fait, les épisodes de nature infectieuse que j’ai pu vivre durant mon mandat ont été de nature variable mais avec des déterminants communs de gestion. Je citerai l’épidémie d’Escherichia coli issu d’une contamination de steaks hachés dès mon arrivée en mai 2011, l’épidémie de Hantavirus dans le parc national de Yosemite aux USA en septembre 2012, celle du Mers-Cov en mai 2013.
Ainsi une coopération active au niveau européen se traduira par un système d’alerte sanitaire performant, l’Early Warning and Response System (EWRS). Ce système d'alerte précoce et de réaction est un élément du réseau général de surveillance épidémiologique et de contrôle des maladies transmissibles à l'échelle européenne.
Une des lignes forces d’évolution de notre système de sécurité sanitaire depuis 2009 est sans aucun doute la création des Agences régionales de santé. Elle a notamment permis de mettre en exergue un point focal régional (PFR), premier maillon d’alerte, connecté au centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (CORRUSS) du ministère (« point focal national »). Cette organisation induit la gradation dans l’alerte depuis le niveau régional vers le national. Quant à la gestion, l’unité de décision ainsi obtenue au niveau régional, incluant l’ensemble des champs (ville, hôpital et médicosocial), permet une efficacité que l’on peut apprécier ces temps-ci dans la gestion de la crise du coronavirus.
Ce nécessaire partage d’information décloisonné a aussi été le déterminant de la création de la réunion de sécurité sanitaire hebdomadaire autour du Directeur général de la santé (DGS), complétée dorénavant par une réunion de sécurité sanitaire régionale autour du Directeur général de l’ARS (DGARS). Ces réunions réunissent tous les acteurs, que ce soit les autres directions ministérielles ou préfectorales ou les agences nationales comme Santé publique France, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ou encore l’Établissement français du sang (EFS) pour ne citer qu’eux.
Enfin, il faut garder à l’esprit que plusieurs années peuvent se passer entre les importantes crises sanitaires ; les personnels changent, quittent leur poste ; un des enjeux est de capitaliser les connaissances et les réflexes. Un des moyens pour y répondre sont les exercices de crise qui se sont beaucoup développés ces 15 dernières années au sein de nos structures. Basés sur des scénarii solidement construits, ils impliquent de nombreux acteurs de terrain et reposent justement sur des plans solides et élaborés sur la base des précédentes crises.
Ainsi oui, notre système est apprenant, mais il faut rester humble et en perpétuel éveil car si toutes les crises ont des déterminismes communs, chacune se présente bien différemment sous divers aspects. Il faut surtout disposer de cadres robustes et avoir une capacité d’adaptation.
Comment faudra-t-il envisager le retour d’expérience ?
Un retour d'expérience sera bien sûr mené, comme après chaque évènement et il devra être réalisé de façon rigoureuse à chaque niveau : national, européen et bien sûr mondial.
Les structures existent, que ce soit le ministère de la Santé, la Commission européenne ou l'Organisation mondiale de la santé. Il conviendra sûrement d'analyser à chaque étage et sur tous les aspects le déroulé et la chronologie des alertes et des actions menées et savoir réadapter aussi notre capacité d'autonomie à l'heure de la mondialisation dont on voit bien que celle-ci trouve ses limites dans les capacités d'action, dans une crise de cette ampleur, sur une longue durée.
Pour autant il ne faut pas l'oublier cette crise du coronavirus aura permis de redécouvrir l'importance des mesures et gestes barrières et de mettre en œuvre cette mesure ultime et inédite du confinement de la population alors qu’il n’existe pas, à ce jour, de vaccin qui serait précieux si cette infection de Covid-19 devenait, comme l’est devenu le H1N1, saisonnière.
On peut penser que la morbimortalité actuelle pourra sans doute convaincre que la meilleure prévention sera la vaccination alors même que nous essayons de le rappeler pour bon nombre d’autres maladies. Il faut donc espérer que cette prise de conscience autour des mesures d'hygiène et la campagne d'information auprès de la population se révéleront pérennes à l'heure où comme chaque année nous devrons faire face à la grippe saisonnière en 2021 qui tue pourtant chaque année un grand nombre de nos concitoyens.
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